Une œuvre, un musée – Aux sources du féminisme avec Gabrielle Émilie !
Chaque mois, Un Air de Bordeaux s’arrête sur une œuvre. Les Musées de la ville nous ouvrent leurs portes et à travers les yeux d’un expert vous découvrirez tous leurs secrets. Vous pensiez connaître nos musées comme votre poche ? Suivez-nous, vous serez surpris !
Au bout de la nouvelle aile sud du Musée des Beaux Arts, venez rencontrer une femme d’exception : Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet. La grande scientifique, philosophe, traductrice de Newton et amie de Voltaire, et vraie figure du féminisme, est ici représentée dans un beau et délicat tableau de la peintre Marianne Loir. Ne vous laissez pas impressionner par la prestance de la femme, approchez-vous, le tableau vous délivrera tous ses secrets.
par Henry Clemens
publié le 18 mars 2022
modifié le 06 octobre 2022
Entre l’intime et l’ostentatoire
Inauguré en décembre 2021, le nouveau parcours de l’aile sud du Musée des Beaux-Arts permet une déambulation claire et cohérente à travers les grands courants de la peinture européenne de la renaissance au romantisme naissant. L’intérêt de cette signalétique et de cette lisibilité accrue : comparer, identifier et comprendre les tendances picturales, s’immerger dans une approche artistique qui brasse formes et formats.
Ce parcours, d’une belle exigence, permet d’intéressants jeux de ping-pong entre les différentes œuvres d’une même pièce, ici entre maîtres Anglais et Français, là entre maîtres Flamands et Italiens. La proposition scénographique de ce musée permet souvent, et ça n’est pas la moindre de ses qualités, de naviguer entre l’intime et l’ostentatoire, entre le gigantisme et la vignette. Le choix d’une certaine densité – on est passés de quarante à plus de soixante peintures - permet une immersion assez spectaculaire dans un musée qui décidément mérite qu’on le redécouvre.
Oh Gaby !
Si pour bon nombre de locaux (chauvins) Pierre Lacour reste l’artiste emblématique, immanquable des lieux, Stéphanie Trouvé, responsable des collections XVe-XVIIIe siècle, s’arrête volontiers devant le portrait de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet pour vanter certes la qualité de la facture mais surtout pour revenir sur le modèle extraordinaire de Marianne Loir.
Ce tableau, situé dans la partie dédiée aux œuvres du XVIIIe siècle, est dans la pure tradition des portraits européens de cette période. Désormais on ne portraiture plus seulement les dignitaires, les rois, les reines ou les roitelets mais les sujets de l’aristocratie et de la bourgeoisie, du savoir, des arts ou de la philosophie.
On ne boudera donc pas son plaisir et rendra hommage à Marianne Loir qui lègue à la postérité une œuvre délicate, vibrante et pleine de grâce. La maturité revendiquée et les convictions pleins les yeux rieurs de cette femme interpellent immédiatement le visiteur.
Un tableau bavard !
Elle est une œuvre puissante de l’intime et si on veut bien s’approcher du tableau, le formalisme apparent, la beauté des dentelles ou des drapés ne vous empêcheront pas de déceler quelques messages capitaux. En effet, Gabrielle pose, altière, du haut de son statut de femme d’exception.
Elle nous dit, un compas à la main droite, qu’elle est une femme de science et la sphère armillaire, que nous distinguons au-dessus de son épaule gauche, confirme ce pédigrée. Qu’on ne s’y trompe pas : la présence d’un œillet dans sa main gauche nous raconte que l’amante de Voltaire a eu une vie exquise, de chair et de sens. On imagine aisément qu’un pan de la société fut tourneboulé par l’attitude « punk » ou libertaire, selon, de la dame.
Il vous faut filer au bout des trois salles en enfilade, bifurquer à gauche dans cet espace consacré aux Lumières pour aller à la rencontre de cette femme qui traduisit Newton, d’un personnage follement romanesque, qui contourna code patriarcal et convenances pour affirmer sans ambages un statut, une condition et devenir une des plus grandes figures intellectuelles féminines du 18e siècle.
Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet – vers 1745.
Huile sur toile, de Marianne Loir (1715-1781).
Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
20 cours d'Albret
05 56 10 20 56
https://www.musba-bordeaux.fr/
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