Bordeaux d’ici et d’ailleurs : visages de Saint Michel
Le quartier Saint Michel, en pleine mutation, accueille les nouveaux arrivants à Bordeaux depuis le début du XXe siècle. Populaire, rassemblé autour du marché, c’est une terre de brocante, de débrouille, de récup, métissée de toutes les influences migratoires… La dernière en date serait-elle celle des « bobos » ? Le visage de la place rénovée a changé, une clientèle plus chic s’installe aux nouvelles terrasses, les touristes affluent : Saint Michel y perdrait son âme ? Certainement pas ! La preuve en 6 portraits de commerçants, anciens ou nouveaux arrivants, pour qui l’identité du quartier, d’où que l’on vienne, c’est d’abord l’accueil, l’ouverture et la solidarité. Ici, ce qui est local vient de partout, un point c’est tout.
par Méline Engerbeau
publié le 01 décembre 2020
modifié le 17 septembre 2021
Chiner et faire des emplettes à Saint-Michel
Il y a dix ans, Saint Michel était un quartier semé de petits bazars et d’épiceries, avec des airs de souks, le seul où l’on trouvait des dattes, de la morue séchée et des tapis berbères… Aujourd’hui de nombreux restaurants et bistrots ont pris le relais des épiceries, mais c’est toujours un lieu de trouvailles.
Le Mogador : artisanat du Maroc
Driss Ben Haddou, propriétaire
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Ma famille est d’origine marocaine, je vis en région bordelaise depuis l’âge de 7 ans. Après de études de commerce international, j’avais envie d’être mon propre patron, et j’ai démarré sur le marché de Saint Michel avec mon étal d’articles de maison. J’ai commencé à rapporter de beaux produits achetés pendant mes vacances auprès d’artisans marocains, et ça a cartonné…
Après une première boutique rue de Menuts, j’ai eu l’occasion en 2001 de récupérer ce grand local, une brocante à l’époque. Je ne me voyais pas ailleurs que dans le quartier Saint Michel. Il me correspond, il est multiculturel, comme moi. Aujourd’hui je suis président de l’association des commerçants.
Que proposez-vous à vos clients ?
Le Mogador, c’est le savoir-faire traditionnel marocain adapté aux intérieurs français. Ça veut dire le beau travail de la terre cuite, des zelliges, de la céramique, du cuivre et du laiton, de la vannerie, des tapis, du bois, du verre soufflé… Je suis un passionné de matières et de matériaux, notamment de carrelages.
Le carreau de ciment traditionnel dans les entrées d’immeubles bordelais l’est aussi dans les vieux immeubles de Casablanca ! Au Maroc c’est un savoir-faire qui a plus d’un siècle. Pour tous mes achats je travaille avec des familles de petits artisans de confiance, avec qui je ne bataille pas les prix. J’ai toujours fonctionné en commerce équitable ! Mon travail c’est de mettre en valeur ces savoir-faire, en choisissant les formes et les couleurs qui vont être tendance ici.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Saint Michel a toujours connu une agitation liée à de jeunes arrivants aux parcours très difficiles qui atterrissent sans repères. En tant que président de l’asso des commerçants, j’œuvre pour qu’ils soient encadrés, entourés. Beaucoup de petits commerces ont fermé, on voit s’ouvrir plus de restaurants et de terrasses que de boutiques, car Internet a beaucoup transformé le commerce pour les brocanteurs ou pour des gens comme moi.
La diversité économique se réduit, mais les lieux où l’on peut toucher et voir la marchandise sont irremplaçables. Pour ce qui est de la solidarité, de l’ambiance multiculturelle, de la tradition d’accueil : c’est aux anciens de transmettre l’âme aux nouveaux… Je tiens énormément aux marchés de semaine, et au marché aux puces du dimanche : ils apportent la dose le désordre qui fait tout le charme du quartier !
LE MOGADOR
4-6 rue Gaspard Philippe
Ouvert les lundi, jeudi, vendredi, samedi de 10h à 18h30, le dimanche de 10h à 14h
Instagram : @lemogadorzelliges
La Martinerie & Dingue de Lunettes : boutique de prêt-à-reporter
Emilie Harnisch, propriétaire
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Je suis styliste de formation, et je me suis orientée très vite vers la création à partir de vintage. J’étais basée en région parisienne et je vendais sur les salons des grandes villes de France : c’est comme ça que j’ai eu le coup de cœur pour Bordeaux, une ville beaucoup moins guindée que je pensais.
Pour nous qui venions de banlieue, habituées à la mixité, et qui aimons chiner, réparer, Saint Michel c’était l’Eldorado ! Il y a eu immédiatement un peu de magie, un coup de chance, une rencontre entre ce lieu qui ne demandait qu’à revivre, et nous qui adorons rénover… On a tout lâché, et on y est arrivés en 2016 à la fois pour y vivre et y créer notre boutique, qui a ouvert en novembre 2018.
Que proposez-vous à vos clients ?
La partie lunettes est une antenne de la boutique Dingue de lunettes à Paris, qui chine des montures anciennes pour les remettre à la vue. C’est un service d’opticien sur rendez-vous, mais on peut venir essayer les montures ! Côté la Martinerie, je vends des vêtements en « prêt-à-reporter » pour la femme, l’homme et l’enfant : des pièces que j’ai chinées au coup de cœur et toutes examinées, nettoyées, réparées, parfois un peu transformées, épurées.
J’aime mixer les époques, les styles, le masculin et le féminin, dans l’idée que l’on peut s’amuser très librement avec son style, du moment qu’on est confort. Le trait d’union, c’est de ressusciter de belles confections, des matières nobles : coton, lin, laine, cachemire, coton, soie pour les vêtements, acétate de coton et bois pour les montures de lunettes… Ça rend accessible ce qui serait aujourd’hui un luxe. Le panier moyen ici est de 25-30 euros, et même un très beau manteau ne dépassera pas 300 euros.
Comment voyez-vous l’avenir, le vôtre et celui du quartier ?
On a été merveilleusement accueillis, entourés par les autres commerçants. J’ai rencontré une vieille dame qui avait été serveuse ici du temps où c’était un restaurant, on a essayé d’écouter les murs, les matériaux et traces de couleurs qui étaient encore là, pour ne rien brusquer, révéler tout ce qui pouvait l’être. Il nous reste encore tout un espace à remettre en état où l’on aimerait accueillir des événements, des expos… L’esprit de notre lieu c’est la récup, et c’est celui de Saint Michel ! J’espère bien que le quartier va garder son âme. Ici on sent la force de la mixité, son côté artistique, poétique… Les touristes adorent, et je suis certaine que le meilleur est à venir !
LA MARTINERIE
23 rue des Faures
Ouvert tous les jours de 11h à 19h, sauf le mercredi, et le dimanche de 11 à 13h.
Instagram : @lamartinerie
Se restaurer
Si les kebabs d’hier ont peu à peu laissé place à une offre plus variée, c’est toujours à Saint Michel qu’on peut se régaler des meilleurs couscous de la ville (les institutions : l’Atlas, le Rizana et le Maharaba)… Mais on a aussi le choix entre la brasserie traditionnelle et la pizza napolitaine !
Tripletta : pizzeria napolitaine
Nakissa Ovaissi, directrice
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Le propriétaire du restaurant, Clément, a quitté le Cantal pour se lancer dans la restauration à Paris, où il s’est associé pour créer à Belleville la brasserie les Triplettes, puis Tripletta, un restaurant de pizzas. Il a aujourd’hui 4 restaurants à Paris. Tripletta Saint Michel était la première antenne à Bordeaux, en juin 2018, et la deuxième a ouvert aux Chartrons un an plus tard. Saint Michel, avec son mélange de populations, c’est le quartier bordelais qui ressemble le plus à Belleville : c’était à la fois un choix de raison, pour y trouver la juste clientèle, et du cœur, parce que c’est l’ambiance qu’on aime… On a une vraie passion pour les cuisines du monde et les bons produits !
Que proposez-vous à vos clients ?
De vraies pizzas napolitaines. Marco, le chef pizzaiolo, a appris son métier à Naples, il a dans son équipe un toscan, un sicilien, ce sont tous des passionnés et ils ne rigolent pas avec la qualité de la pizza ! La pâte, aérée et digeste, c’est la signature de la maison. On fait nous-mêmes au feu de bois notre pain, nos focaccias, et tous les produits sont en provenance d’Italie.
On a une clientèle très variée, parce qu’on souhaite être accessibles à tous, avec le café à 1,50€, la formule pizza-salade-café du midi à 12,90€… On voit des gens du quartier, des touristes, et aussi bien des grands-parents qui veulent faire plaisir à leurs petits enfants que des trentenaires. Bien sûr, on a les codes des repos parisiens, avec la jolie déco, l’ambiance jeune et décontractée, c’est ce qu’on est venus proposer, et ça s’intègre très bien ! On veut vraiment faire plaisir à tout le monde et le quartier nous le rend bien.
Comment voyez-vous l’avenir, le vôtre et celui du quartier ?
Comme beaucoup de nouveaux arrivants j’ai un peu ramé pour me loger, mais j’ai fini par me poser à La Bastide ! J’aime beaucoup l’ambiance de Saint Michel, et je la trouve très équilibrée, entre l’exotisme des thés à la menthe, les cafés du matin, les chocolatines de la boulangerie d’à-côté.
Il y a une belle ambiance entre commerçants, la brocante, les petits musiciens, j’aime beaucoup voir les mêmes têtes, et je ne vois pas pourquoi ça changerait…
TRIPLETTA
30, place Maynard
Ouvert tous les jours de 10h à 23h - Service continu samedi et dimanche
Instagram : @triplettabordeaux
Le Passage Saint Michel : Brasserie
Fanny, directrice
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Je suis née à Bègles, j’ai grandi à Caudéran, j’ai vécu en Angleterre, et je suis revenue ici parce qu’il y fait bon vivre. La brasserie du passage des brocanteurs est là depuis près de 30 ans, et je l’ai toujours connue, avec sa déco vintage, une salle au milieu de la brocante et une autre qui donne sur la place, sa terrasse sur la place…
Le Passage a changé, il y a moins de marchands, moins de bric-à-brac, des travaux sont en cours pour aménager des corners plus chic, certains espaces ont changé de fonction, mais l’identité de Saint Michel, ça reste le marché et la brocante : sur la place tous les matins sauf le mercredi, à 6h des marchands déballent, on est toujours les premiers ouverts pour le petit café du matin… C’est une clientèle qui ne change pas !
Que proposez-vous à vos clients ?
Une cuisine traditionnelle, régionale et gourmande, avec des spécialités comme le parmentier de canard, le demi poulet landais avec sa purée, l’entrecôte-frites, ou le camembert rôti-frites pour les végétariens. Notre particularité c’est d’être ouverts tous les jours, sans interruption de 6h30 à 23h, ce qui fait que notre clientèle est très large, du petit café au dîner entre amis, des marchands aux touristes… On accueille tout le monde, comme Saint Michel sait le faire !
Comment voyez-vous l’avenir, le vôtre et celui du quartier ?
On nous aime pour la tradition, c’est sûr, mais on s’adapte aussi à de nouveaux goûts, avec depuis peu des bols composés, une carte des vins qui s’ouvre sur d’autres régions… Saint Michel a une identité forte, celle de l’accueil : c’est parfois rock’n roll mais c’est sincère, humain, on dit qu’on y parle plus de 70 langues… Quand on a vécu soi-même à l’étranger, on sait à quel point l’échange des cultures est une chance !
BRASSERIE LE PASSAGE SAINT MICHEL
14 place Canteloup
Ouvert tous les jours de 6h30 à 23h
Instagram : @brasserielepassagesaintmichel
Boire un verre
La rénovation de la place a enfin permis que les terrasses s’y installent, et y boire verre n’a jamais été aussi agréable… Et le choix est vaste, qui va du thé à la menthe dans la tradition marocaine à la dégustation d’une bouteille d’exception chez un caviste pointu !
Julo : caviste et épicerie fine
Julien Chivé, propriétaire
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Je vis à Bordeaux depuis 20 ans, et j’ai ouvert Julo en 2015, après avoir travaillé pendant des années dans le négoce du vin. J’avais envie de me poser, j’en avais assez de vendre des volumes, des prix ou des marques… je voulais vendre des produits que j’aime, directement aux gens qui les apprécient.
J’ai choisi Saint Michel en ayant vu l’essor des quartiers Saint Pierre et Saint Paul, j’anticipais la mutation du quartier et la possibilité d’une nouvelle clientèle pour les petits commerces. L’emplacement était déjà celui d’une ancienne épicerie, portugaise. Ca change sans changer…
Que proposez-vous à vos clients ?
A boire et à manger, sur place ou à emporter, dans la boutique ou en terrasse : on propose avec le vin ou les jus de fruits des spécialités de charcuteries, des fromages, des pâtés, des sardines… Tout ce qui est en vente à emporter peut se consommer sur place, et je tiens à ce que les prix restent accessibles : la bouteille servie à table ne sera que 6 euros plus chère, quelle que soit l’étiquette, même pour un grand vin ! Le choix est vaste, avec 20% de vins de la région bordelaise.
Je suis un curieux, je rencontre les producteurs, j’achète en direct ou à des agents de confiance qui ont de belles exclusivités, et je peux parler de chaque produit pour l’avoir dégusté et choisi. Notre fournisseur de fromages, affineur à Aurillac, fournit beaucoup de restaurants étoilés, et je suis très fier qu’ils nous aient choisi aussi ! Notre clientèle est large, elle va des habitants du quartier aux touristes, notamment américains, grâce au Lonely Planet américain qui nous place en première ligne des bars à vin bordelais…
Comment voyez-vous l’avenir, le vôtre et celui du quartier ?
La vie du quartier n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Il y a des lascars, des difficultés sur lesquelles il ne faut pas fermer les yeux et qui vont devoir se régler… Mais le quartier est magnifique, on donne sur l’arrière de la basilique, au calme, les touristes sont ravis de découvrir le coin. L’ambiance entre commerçants est géniale, et j’espère que cette identité vivante, qui passe par les petits commerces, perdurera, sans l’invasion de franchises ou de grandes surfaces.
JULO
11, rue des Faures
Ouvert mardi, mercredi, jeudi de 17 à 23h, vendredi et samedi de 10h à 15h et de 17 à 23h, dimanche de 10h30 à 15h
Instagram : @julobordeaux
Le Café de la fraternité : salon de thé
Yacine, propriétaire
D’où venez vous ? Pourquoi avoir choisi Saint Michel ?
Je suis un vrai bordelais, né à Bordeaux de père kabyle algérien et de mère basque ! J’ai passé une partie de ma vie en Algérie, et je travaille à Saint Michel depuis 1994. J’ai commencé sur le marché et repris le Café de la Fraternité en 2008.
Dans les années 90 c’était un quartier très populaire, avec un mélange d’espagnols, de portugais, de maghrébins, d’africains… C’est différent depuis 2013 et des travaux de rénovation de la place. On a pu sentir une vraie différence, c’est devenu intéressant pour des investisseurs… Les travaux ont été très longs, j’ai eu l’impression parfois qu’on nous poussait à vendre. Hors de question pour moi ! La Fraternité porte ce nom depuis plus de 30 ans. Avant ça, ça été un salon de coiffure, une brocante, et même un lieu de tournage où Pierre Richard et Gérard Depardieu ont tourné la scène de braquage de banque dans « Les Fugitifs ».
Que proposez-vous à vos clients ?
C’est un salon de thé, un mélange de bordelais et d’oriental… Dans la déco j’ai voulu rappeler les navires du port, le côté marin, pirate, les influences espagnoles, le maghreb… On est ouverts pour tout le monde, notre origine c’est l’humanité ! Ce qui fait le succès de la Fraternité, c’est sa terrasse et le thé à la menthe fraîche à 2€. Ici on accueille tout le monde avec gentillesse, toutes les couleurs, toutes les origines, tous les styles.
J’ai mis à la carte le thé glacé grâce à des anglais qui ont demandé des glaçons avec leur thé à la menthe ! On fait aussi une citronnade maison, des gâteaux maison avec du vrai miel (corne de gazelle, makroud, baklava, galette algérienne avec de vraies dattes d’Algérie…). A terme j’aimerais bien limiter les boissons industrielles, lâcher les marchands de sodas, être le plus nature et accessible possible.
Comment voyez-vous l’avenir, le vôtre et celui du quartier ?
L’avenir, c’est ce qu’on va laisser à nos enfants, et même s’il y a des problèmes à régler, le monde ne peut aller que mieux. Le métissage fait beaucoup de bonnes choses, il fait comprendre qu’il faut accepter l’autre pour se faire accepter, que vivre bien, ce n’est pas posséder des milliards. J’ai envie de voyager, d’aller entreprendre aussi au Maroc, en Algérie, de changer d’hospitalité… On verra, on commence un nouveau jour chaque jour. Le calme du matin, quand je déplie ma terrasse et que les oiseaux chantent, c’est ça la joie pour moi !
CAFE DE LA FRATERNITE
1, rue Saint François
Ouvert de 8h du matin à minuit… selon les jours et les saisons !
Instagram : les photos des clients parlent d’elles-mêmes