Aventures aux portes de la ville : une rando avec Yvan Detraz
Un terrain vague, une venelle biscornue, un parking condamné, une ruelle bétonnée… le beau n’est pas toujours là où on l’attend lorsqu’on se balade dans l’agglomération bordelaise. Avec ses randonnées périurbaines, le collectif Bruit du Frigo chausse nos pompes pour changer nos regards sur Bordeaux et sa métropole. Rencontre avec son fondateur, Yvan Detraz.
par Klervi le Cozic
publié le 19 novembre 2019
modifié le 20 mai 2022
Une ville dans la ville
« Il y a vingt ans, la périphérie était mal considérée, des lotissements pavillonnaires aux zones commerciales en passant par les friches industrielles ou les voies rapides. J'ai eu envie d'aller voir au-delà des clichés qu'on leur prêtait de zones polluées, consuméristes, individualistes. »
Dans le cadre de son mémoire de fin d'études, il part en exploration. Son tracé, réalisé à l'usure de ses souliers, révèle 1 200 km d'espaces vides. « Mis bout à bout, ils permettaient de faire tout le tour de l'agglomération sans en sortir ! C'est comme une ville en creux qui émergeait. »
C'est ainsi qu'est né le sentier des Terres Communes, long de 300 km. Complémentaire de la boucle verte de la Métropole (désormais GR métropolitain), il propose une autre façon de découvrir la ville.
Randonnées périurbaines
« Les petits oiseaux et les jolis paysages, tout le monde connaît, avec nos randonnées on propose autre chose » lance Yvan Detraz. « En plus c'est très stimulant : le paysage change tous les 200 mètres, c'est une sorte de zapping permanent ! » sourit le fondateur du collectif qui réunit architectes, plasticienne, médiatrice mais aussi urbaniste, paysagiste et menuisier.
Pour séduire les randonneurs du dimanche, amateurs de grands espaces souvent blasés du macadam, le collectif Bruit du frigo imagine des randonnées guidées, entre théâtre, performance et architecture, sur deux jours et une nuit, le temps d'un bivouac.
Nuage géant
« Dès le début du projet l'idée des refuges périurbains est apparue, pour rendre la promenade attractive. On imaginait de petits endroits intimes, pour se sentir bien, même au beau milieu de l'espace public. »
Sur le principe des refuges de montagne, les refuges périurbains sont sommaires. En revanche, vous ne croiserez jamais un nuage géant ou une station orbitale sur le GR 10 ! « On leur a donné des formes en écho au lieu où ils ont été implanté, dans une approche artistique » explique Yvan Detraz qui a conçu le refuge du Bourgailh, baptisé « le tronc creux ».
Le refuge peut abriter jusqu'à 9 rêveurs, de quoi faire de jolis songes aux-côtés des habitants de la forêt. Le onzième et (malheureusement) dernier refuge périurbain a été installé en 2019. Un beau livre de photos retrace la conception de chacun. Et si l'envie vous prend d'y passer la nuit, c'est gratuit, il suffit de réserver.
À la conquête de l'Ouest
Désormais, les marcheurs peuvent partir explorer les lieux en autonomie le temps d'une journée puisque 15 boucles sont proposées gratuitement sur internet.
Pour le moment, seules six d'entre elles ont été complétées de commentaires savoureux qui pimentent les passages sur bitume parfois tristounets. « Longer les rivages de la rocade derrière les murs anti-bruit, c'est presque comme si on entendait une cascade ou la mer » assure Yvan Detraz.
Les boucles, aux doux noms de « cocktail résidentiel », « zoneland » ou « à la conquête de l'Ouest », mixent indications géographiques et explications plus ou moins sérieuses qui accentuent ou allègent, sans la cacher, la réalité du paysage.
Soirées échangeurs
Le projet au long cours des refuges périurbains touche à sa fin, mais le collectif Bruit du Frigo a d'autres projets dans sa besace. Il a notamment rejoint le Réseau des Sentiers Métropolitains, créé en 2017 à Marseille. Il réunit des initiatives menées autour du périurbain dans toute la France.
Désormais installé rive droite à la Fabrique Pola, Yvan Detraz a des idées plein la tête : « Pourquoi ne pas organiser des « soirées échangeurs », un service thé/café pendant les bouchons, ou même un tour operator pour faire le tour de la rocade (en dehors des heures d'embouteillages) avec quelqu'un qui raconterait la ville contemporaine avec un regard décalé ?! ». Le Bruit du Frigo n'a pas fini de nous faire explorer l'agglomération !
Explorateur périurbain
« Sac sur le dos, je suis parti explorer l’agglomération de Bordeaux, pendant trois mois. » L’histoire du collectif Bruit du Frigo commence avec l’envie d’Yvan Detraz, alors étudiant à l’école d’architecture de Bordeaux, de sortir des sentiers battus.
En 1999, une carte IGN en poche, il arpente les espaces vides de la ville, ces zones tantôt bétonnées tantôt abandonnées qui s’étaient faites oublier au point de ne même plus s’y promener. « Le piéton était devenu un élément incongru dans ces espaces. »