Démarrons notre promenade à un endroit que bon nombre de bordelais ont associé, pendant longtemps, au retour de boîtes de nuit : les quais de Paludate. Aujourd'hui, il y a enfin des raisons de s'y promener en plein jour, et ça, c'est grâce au projet Euratlantique. Ce dernier, initié en 2010, a pour objectif de "réveiller" les deux rives de la Garonne, entre Bordeaux et Floirac, aux abords de la gare. L'arrivée de la LGV à Bordeaux y est pour quelque chose… C'est pourquoi, depuis quelques années, les grues ont envahi ce territoire. Ainsi, sort de terre un nouveau quartier qui offre une deuxième jeunesse à ce bout de la métropole qui s'étend sur 758 hectares. Le chantier n'est pas terminé, mais déjà, on peut profiter de quelques travaux finis,
Le projet Euratlantique permet aussi de traverser plus facilement la Garonne grâce à la construction de nouveaux ponts qui permettent de relier Bordeaux à Floirac, comme le pont Simone Veil, inauguré le 6 juillet 2024.
Mais concentrons-nous sur le reste du quartier Belcier et Amédée Saint-Germain. Enfourchons notre vélo et dirigeons-nous vers la place Ferdinand Buisson.
La place Ferdinand Buisson est à cheval entre deux époques. Ici, on est à la fois au cœur du quartier historique de Belcier, avec ses échoppes et ses arbres centenaires, tout en ayant une vue imprenable sur le chantier Euratlantique. Et sur cette place se trouve l'église Saint-Jean de Belcier. Alors, on aime ou on n'aime pas ce type d'architecture. Mais impossible d'être indifférent à son clocher vert. Elle fait partie des églises insolites de la métropole dont on vous parle dans cet article.
Garez votre vélo sur la place, tournez le dos à l'église. Traversez la place boisée (attention à ne pas déranger les joueurs de pétanque) et installez-vous à "l'Ange Alpha".
Amélie est la patronne des lieux, mais pas seulement. Dans le quartier, elle est un peu la matriarche, la bonne amie, la gardienne de l'esprit du quartier. Il faut dire que son "Angle Alpha" est le quartier général des habitants du coin, et même au-delà.
Si elle a nommé son établissement ainsi, c'est en lien avec l'ouvrage du sociologue Frédéric Lordon, "Capitalisme, désir et servitude". Il y explique sa théorie de l'angle alpha qui représente notre degré de résistance à l'ordre établi. Dans le monde néolibéral, l'entreprise a intérêt à réduire son angle à zéro pour continuer à exercer son pouvoir sur les êtres. En gros, résume Amélie, "plus l'angle est grand, plus tout le monde est content". Et dans ce bar du quartier Belcier, l'angle est très large !
"Ici, tout est fait-maison, tout est acheté en circuit court et c'est moi qui fais tout ! Si on est fermé le week-end, c'est parce que je suis en train de faire les courses ou cuisiner" explique Amélie. Le reste de la semaine, quand le café est ouvert, Amélie et ses acolytes, font vivre "l'Angle Alpha" et son esprit populaire qu'elle revendique. "Tous ceux qui travaillent ici habitent le quartier. Et tous ceux qui viennent ici sont comme à la maison. On organise des soirées blind-test, karaoké... Je fais des crêpes pour les enfants. Pour la kermesse de l'école, je viens faire cuire les saucisses. Tout le monde nous connaît ici. On est le café de quartier à l'écoute de ses habitants, et on se décarcasse pour le rester", précise-t-elle.
Le café se situe dans le quartier historique de Belcier. Les nouveaux bâtiments du projet Euratlantique sont à quelques mètres : "Ici, c'est le plus beau quartier de Bordeaux. Et on tient à préserver notre identité de cœur de quartier. On est un peu comme les gaulois, entourés d'immeubles, nous sommes les irréductibles !"
Lors de la dernière édition de BAD+, (Bordeaux Art Design), le salon d'art contemporain, Hugo Gomez a reçu une mention spéciale du jury dans la catégorie design avec ses œuvres intitulées "le chant des styren". On peut les voir dans son atelier niché rue Rosalie, située à 500 mètres de "l'Angle Alpha" (deux minutes à vélo). Les portes de son atelier sont ouvertes. Pas couloir ni d'entrée, l'atelier donne directement sur cette rue pleine d'échoppes.
Diplômée de l'École de Beaux-Arts de Bordeaux, Hugo a ouvert son atelier DTR en 2023. Pourquoi DTR ? "C'est un jeu de mots avec déterminé et terre". L'artiste designer céramiste est en effet déterminé à explorer son art de la manière la plus démocratique, originale et écologique possible.
Démocratique, car il transmet ses savoirs autant qu'il peut à tous et à toutes. Il ouvre son atelier tous les mercredis soir à ceux qui souhaitent apprendre le modelage. "J'enseigne différentes techniques, comme le façonnage à la main, le bol pincé ou la technique de la plaque". Mais il n'y a pas que rue Rosalie qu'Hugo partage ses savoirs. Il organise des ateliers à la MECA par exemple. "Ce sont des ateliers pour les enfants durant lesquels je leur enseigne la solargraphie. C'est une technique photographique que j'ai apprise à l'École de Beaux-Arts."
Jusqu'au mois de septembre 2024, avec sa compagne architecte, Laura Chevalier, il anime un atelier dessin sur céramique sur la place André Meunier. "L'objectif est de dessiner, avec tous ceux qui le souhaitent, sur des tuiles avec du limon de Dordogne. Elles seront ensuite assemblées sur un totem qui sera dressé sur la place.".
Originale et écologique, car Hugo crée avec tout ce qu'il peut trouver, notamment des déchets. "Je dépollue les rues et donne une deuxième vie à des déchets difficiles à recycler, comme le polystyrène". Ses pièces noires qu'il a nommées "le chant des styren" sont nées de cette idée. Durant le confinement, Hugo a commencé à ramasser des déchets de polystyrène dans les rues et a eu l'idée d'en faire des moules. Une fois réalisées, il a peint ces pièces en noir pour "oublier le polystyrène, afin que ce soit plus impactant et difficile à situer dans le temps". Ces œuvres lui ont valu la mention spéciale du jury du BAD+ 2024.
Quittons la rue Rosalie pour retrouver le pont de Guit. Avant de rejoindre le quartier Amédée Saint-Germain situé de l'autre côté des rails, prenons le temps d'admirer les œuvres de street-art qui se trouvent dans les parages.
Fleur Borde, guide-conférencière (mais également rédactrice d'Un Air de Bordeaux) connaît bien le sujet et a su nous indiquer les meilleurs spots du coin en matière d'art urbain. "Sous le pont de Guit, près de la sortie de la gare Belcier se trouve une fresque de Delphine Delas inspirée de l'art nouveau et datant de 2020. À côté, on trouve des séries réalisées par le collectif Transfert. Parmi elles, des œuvres de Jean Rooble, Kendo ou encore Trakt".
Reprenons notre vélo, dirigeons-nous un peu plus haut vers la rue des gamins pour découvrir l'écureuil et le pigeon d'Amo.
La pause street art est terminée. Prêt.e pour une petite montée à vélo sur le pont du Guit ?
Une fois le pont de Guit passé, remontez la rue Amédée Saint-Germain pour entrer dans ce nouveau quartier qui entoure les citernes, sur votre gauche. On zigzague un peu pour descendre dans ce nouvel espace qui fait partie du projet Euratlantique. Direction "l'atelier des citernes" où nous accueille Olivier Renaudie, le directeur du lieu. "Avant ici, il s'agissait d'un atelier de la SNCF. On y réparait les locomotives. Quant aux citernes situées en face, elles permettaient de fournir les locomotives et les pompiers en eau" raconte-t-il.
Aujourd'hui, plus de locomotives, mais un tiers-lieu immense (1700 m²) "qui a une âme" précise Olivier, et qui accueille désormais des comptoirs de restauration, les cuisines du traiteur Marie Curry, un cabinet d'architecture, des cours de danse...
Face au comptoir du café de la Bastouille, se trouve une scène avec, déjà en place, des instruments de musique. "Tous les jeudis soir, ici, c'est scène ouverte ! Les musiciens n'ont même pas besoin de venir avec leurs instruments, car tout est là : une batterie, un piano, une guitare, une basse et la sono. Les vendredis, on a des DJ Set et des concerts le samedi. On peut accueillir 450 personnes ". Et ces personnes ont de quoi se restaurer grâce à un petit tour du monde des saveurs. L'Atelier des citernes accueille des stands de cuisine variée :
L'Atelier des citernes : 45 rue de la compagnie du midi à Bordeaux.
Le quartier Amédée Saint-Germain existe depuis longtemps. Mais il grandit et accueille désormais celui qui entoure les citernes. "Ici, tout a été pensé comme un village, explique Olivier Renaudie. Mais à la place d'une église, nous avons les citernes !". En effet, tous les services et commerces de proximité sont en place : boulangerie, buraliste, pharmacie, épicerie de vrac, aire de jeux, laverie et même une laiterie !
Remontez la rue Amédée Saint-Germain et ouvrez l'œil. Sur votre droite, au numéro 96, se trouve une caverne d'Ali Baba ! Jadis se tenait ici un entrepôt de ferraille. Depuis 1986, c'est un entrepôt de trésors, soigneusement fourni, entretenu et agencé par José Desjardins. Ce chineur hors pair propose, sur 1000 m², des milliers de bibelots, meubles, vêtements, livres, jeux ou encore vélos. "J'achète et je revends". Et il a l'œil pour dénicher des objets parfois inattendus comme cette représentation grandeur nature de James Dean, une moto, une voiture ou encore un flipper. Mais l'homme est aussi bon dénicheur qu'il est discret. Alors, on n'en saura pas beaucoup plus sur sa personnalité et sur ses coups de cœur du quartier !
L'entrepôt Saint-Germain est l'occasion de faire un véritable voyage dans le temps. Tout est agencé pour oublier l'année en cours. Des vitrines et des façades sont dressées à l'intérieur pour donner l'impression d'entrer dans d'antiques boutiques. Et si on aime les brocantes et vide-greniers, mais qu'aucun n'est prévu pour le week-end, ce lieu reste le bon plan pour assouvir son envie de vintage.
L'entrepôt Saint-Germain, 96 rue Amédée Saint-Germain à Bordeaux.
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