À l'époque, on ne s'encombre pas d'idée de végétalisation… la mode est au monumental et franchement, la cathédrale juste à côté du palais Rohan, ça en jette. Les urbanistes qui ont décidé de raser complètement les petites maisons médiévales qui se serraient autour de l'édifice religieux avaient ça en tête, et en 1888 le travail est terminé.
Il y avait auparavant cinq petites places qui émergeaient à peine du dédale de ruelles du quartier, il y en a désormais une seule qui entoure la cathédrale. Avec, comme toujours, une différence fondamentale entre l'idée et la réalité : en guise de place, « Pey-Berland » devient plutôt un carrefour avec toutes ses nouvelles voies percées autour.
Ce qui n'empêche pas la tenue, en plein milieu de la chaussée, du célèbre « marché aux chiens ». Il faut dire que l'on est dimanche et qu'il ne passe pas grand monde. On achète ici les chiens de race qui feront la fierté de leur maître fortuné.
Même si on ne tourne plus autour en voiture comme depuis les années 40, Pey-Berland n'est encore pas une place où l'on flâne et toujours un carrefour... mais pour les tramways. Le cabinet d'architectes King-Kong est finalement revenu à la situation du début du 20ᵉ siècle en laissant le sol nu pour mieux mettre en valeur l'ensemble monumental.
Mais les arbres de la place Jean Moulin ont poussé depuis et l'on se demande si l'on ne ferait pas mieux d'en faire autant pour les 20 000 m2 de la place. En tous les cas, on tient encore marché le dimanche... mais juste de quoi remplir son estomac. Pas de chiens !
On prétend souvent qu'avant, on ne se rendait pas compte du trésor architectural qu'était Bordeaux. Alors qu'au contraire : au début du 20ᵉ siècle, lorsque le port de Bordeaux a besoin de hangars volumineux pour vivre, la ville refuse de sacrifier la perspective sur son emblématique place de la Bourse.
Alors que partout ailleurs l'architecte de la ville Jacques D'Welles réalise des hangars en hauteur, il fait construire ici un hangar souterrain. Un petit exploit technique que l'on voit ici en cours de réalisation et qui servira plus tard... tout comme on n'oubliera pas davantage les trams.
C'est incontestablement la Tour Eiffel bordelaise. Le miroir d'eau conçu par Michel Corajoud est le monument le plus photographié de la ville et c'est justement dans les anciens hangars souterrains toujours existants qu'est logée toute la machinerie qui lui permet de fonctionner.
L'abattage des arbres qui ornaient la place à la fin des années 70 a contribué à rendre un peu plus visible encore le plus bel ensemble néo-classique de France. Toujours le dilemme entre arbres et monuments...
À Bordeaux, dès qu'il y a une grande place, il y a quelque chose dessous : le Château Trompette sous les Quinconces et le Fort Louis sous la Place André Meunier.
À l'endroit le plus faible des très longues fortifications du 15ᵉ siècle, on avait posé ce château qui n'a jamais réellement été attaqué. Si ce n'est après sa destruction, par des hordes d'enfants profitant du grand bassin pour y faire voguer leurs bateaux.
Et de fait, cette longue esplanade sans charme fut jusqu'à la fin des années 80 l'une des places les plus fréquentées de Bordeaux avant d'être désertée une fois le bassin mis hors d'usage.
Après des années d'abandon progressif et de difficultés à mener à bien les travaux, la nouvelle place André Meunier a vu le jour au printemps 2019 : on a tout changé pour ne rien changer.
Le bassin d'antan a disparu, mais on a gardé le principe d'une place utile à tous, avec de vastes espaces laissés libres au jeu ou au prélassement dans l'herbe. Des œuvres « utilisables » de l'artiste Federica Matta rehaussent un peu cette place, surtout destinée aux habitants du quartier avec ses jardins partagés.
Bref, on a préféré l'utile à l'esthétique... comme cela a toujours été le cas ici.
En 1865, un décret impérial confirme « l'annexion » du quartier de la Bastide, allant de Cenon à Bordeaux. Au débouché du Pont de Pierre, on souhaite d'abord faire une place en demi-lune pour imiter celle d'en face, mais c'est finalement une place carrée qui l'emporte.
Avec la volonté de créer sur la rive droite la même effervescence que dans le cœur historique. C'est pourquoi notamment, on bâtit le singulier immeuble imitation renaissance qui accueillera l'Alcazar, music-hall où officiera longtemps Edmond Dédé, le premier chef d'orchestre noir en France. Mais on n'oublie pas non plus l'indispensable square qui apporte un peu de fraîcheur.
Longtemps simple lieu de passage avec son flot de voitures, l'ancienne « Place du pont », devenue « Stalingrad » en 1946, a retrouvé son rôle de place avec l'arrivée du tramway : on y patiente, on attend un bus, on se prend en photo devant le Lion bleu.
Même si l'œuvre de Xavier Veilhan, installée en 2005, partage toujours autant les Bordelais, elle est devenue un repère pour les rendez-vous et l'un des monuments les plus photographiés de la ville.
Il y avait là un champ de foire juste à l'entrée de la ville, et une entrée médiévale avec la porte Saint-Julien, qui disparut en 1753 pour faire place à cet arc de triomphe, dédié au duc d'Aquitaine.
Mais le lieu resta longtemps une place de marché. Cette photo est exceptionnelle : on voit très précisément qu'elle a été prise en 1903, année du percement de la partie haute du Cours Pasteur qui prit la place de petites rues médiévales.
Et dont l'accès nécessita aussi la suppression d'un des deux guichets latéraux qui flanquaient l'arc de triomphe (par souci de symétrie, l'autre ne lui survécut pas longtemps). Tout était prêt pour lancer les premiers travaux d'une des places qui a le plus souvent changé de physionomie, mais qui a gardé la même vocation depuis le début du 20ᵉ siècle : être un lieu de fête pour les étudiants.
L'étrange symbolique des sculptures du Tchèque Ivan Theimer n'a que peu altéré l'esprit général de la place, fait de passage vers ailleurs et de haltes-bars.
Mais à la place de l'esprit « rond-point » plus ou moins variable qu'elle a depuis que la voiture est reine, elle est devenue plus « piétons-friendly » en son centre.
Ce qui permet de profiter des perspectives de tous ses cours qui en partent et qui lui donnent son esprit « centre névralgique »... y compris pour les manifestations qui finissent souvent ici.