Micro-aventure nocturne : la pêche à la pibale
Dernier pêcheur de Bordeaux, Jean-Marie Hauchecorne s’en est allé le 6 février 2024. Il était une figure emblématique de la Garonne et proposait aux touristes et aux curieux des balades sur le fleuve suivies de dégustations. En janvier 2022, il nous recevait pour nous raconter la pêche à la pibale.
par Henry Clemens
publié le 10 janvier 2022
modifié le 25 septembre 2024
Une pêche unique sur la Garonne
Disons le tout net, l’aventure proposée par le pêcheur fluvial Jean-Marie Hauchecorne est tout à fait magique ! La pibale, l’alevin de l’anguille, objet de toutes les convoitises, reste un drôle d'animal dont on ignore pratiquement tout et en particulier ce qui le pousse hors de la mer des Sargasses pour remonter les fleuves à des milliers de kilomètres de là ! Cette pêche obligatoirement nocturne sur la Garonne transforme l’instant en un moment inoubliable.
Jean-Marie, après avoir déchaussé bottes et ciré, revient pour Un Air de Bordeaux sur ce temps suspendu de la pêche à la pibale.
Jean-Marie, pêcheur fluvial
Êtes-vous marins de père en fils ?
Je précise tout de suite que je suis pêcheur fluvial, pas marin, ce n’est pas la même réglementation. Je suis né à Bordeaux et j’ai la chance d’avoir un carrelet sur la Garonne. Voilà mon premier lien au fleuve. J’ai découvert à ce moment-là qu’il y avait encore des pêcheurs fluviaux professionnels. Je les ai approchés pour savoir si on pouvait devenir pêcheur fluvial.
Je dois dire qu’ils m’ont tout d’abord dissuadé – raréfaction des poissons et difficulté du métier – mais comme je suis de nature curieuse, je me suis tout de même lancé dans cette aventure à plus de cinquante ans. J’ai fait un an de formation et ça fait maintenant trois ans que je pêche. J’ai passé un certain nombre d’heures avec David Durand, un pêcheur professionnel de Sainte-Terre, qui a gentiment accepté de me prendre sous son aile. Conscient de mes limites de pêcheur, je me suis très vite orienté vers le pesca-tourisme. C’est-à-dire que je propose aux gens de partager la découverte d’un métier que je découvrais il y a peu de temps !
Qu’est-ce qui vous a décidé à partager ce moment de pêche nocturne avec les autres ?
Il était impossible d’avoir des informations sur la pêche à la pibale ! C’était un secret dont l’activité et le savoir-faire, entourés de mystères, ne se partageait pas ! J’ai mis un temps fou à trouver un pêcheur qui a bien voulu m’amener avec. Ça me dépassait un peu dans la mesure où j’ai toujours été dans le partage et les échanges. Avant de proposer cette activité j’ai souvent rêvé en tant que pêcheur de pouvoir traquer cet alevin de poisson provenant de la mer des Sargasses !
La pibale à l'huile d'olive !
Parlez-nous de la pibale ?
C’est l’alevin d’anguille qu’on appelle aussi la civelle ! Cette pêche n’est pas typiquement girondine. Nous sommes une trentaine de pêcheurs sur la Garonne.
Comment déguste-t-on cette dernière ?
Tout bêtement frit avec de l’huile d’olive et un émincé d’ail, du sel, du poivre et éventuellement un peu de piment d’Espelette ! Le tout sera agrémenté, cela va de soi, avec un bon vin blanc sec de bordeaux !
La pêche de nuit sur la Garonne, une expérience magique !
A quel scénario type peuvent s’attendre les accompagnants d’un soir ?
Une sortie de pêche nocturne à la pibale dure entre deux heures et quatre heures en fonction de la pêche et de la météo. On ne doit s’attendre à rien ! C’est ce qui fait le piment de ce moment. C’est un animal sauvage, migrateur dont on n’a pas encore compris comment il faisait pour effectuer cet immense voyage. Ça reste, il faut bien le dire un animal magique !
Je pêche sur un petit périmètre, en direction du pont d’Aquitaine ! Les pibales profitent de la marée montante pour remonter la Garonne et nous les pêcheurs on descend le fleuve à contre-courant avec des tamis placés de chaque côté de la barque ! Les sorties s’effectuent en fonction des marées et toujours de nuit, en gros entre 18h et 8h du matin ! La saison court de mi-novembre à mars. C’est très règlementé parce que cette pêche fait l’objet de braconnages. Les pays asiatiques rachètent la pibale jusqu’à 3000 euros le kilogramme !
Que disent vos accompagnants de cette sortie de pêche nocturne à Bordeaux ?
C’est magique, c’est indicible. On est pris par l’adrénaline dans la mesure où ça reste une pêche rare. Moi j’en ai rêvé avant eux ! Je ne prends que deux à trois personnes avec moi, ce qui rend le moment beaucoup plus convivial ! C’est du partage même si on reste dans un contexte professionnel, il faut que je pêche également ! (rire)
Au cœur de la nature sauvage avec un pêcheur
La Garonne, la nuit, ça vous évoque quoi ?
C’est étonnamment paisible ! Même s’il nous arrive de croiser des confrères, je suis souvent tout seul ! J’ai un rapport très fort à la nature. Il n’y a pas deux nuits qui se ressemblent ! On est nulle part, que sur le fleuve, totalement focalisé sur cette pêche extraordinaire et rare. On a les sens en éveil et très tendus d’autant plus qu’on doit rester vigilant la nuit sur un fleuve comme la Garonne.
La nature offre au quotidien des moments extraordinaires ! C’est une pêche écoresponsable et très contingentée ! Le fait de vivre à Bordeaux et de vivre de sa nature reste unique, j’en suis conscient. La nature est généreuse par essence et on doit pouvoir en profiter sans lui nuire