Cette pièce unique est présentée dans le cadre d’une exposition temporaire qui interroge sur les collections d’histoire naturelle. L'exposition pose en préambule la question "pourquoi continue-t-on à constituer des collections d’histoire naturelle ?". Un titre qui, tout sauf anecdotique, questionne avec acuité et pédagogie l’intérêt de ces collections et leurs usages dans l’actualité.
Au-delà de la nécessaire amélioration des connaissances, on mesure bien vite l'importance de la sensibilisation aux menaces qui pèsent sur l’histoire naturelle et la préservation de la biodiversité. C’est en tout cas ce que nous dit avec force le Muséum de Bordeaux.
Enfants, courez vite voir cette exposition qui, on est en droit de l’espérer, fera de l’un d’entre vous un paléontologue qui continuera à enrichir les collections par le biais de missions scientifiques. Un scientifique qui, à son tour, réexaminera les collections existantes avec des méthodologies et un regard nouveau pour en tirer d’autres informations.
Avec Laurent Charles, chargé de collections, de l’inventaire et de la documentation historique des collections, nous passons en revue la genèse des collections : des boites à pierres « précieuses » des enfants, aux collectionneurs « vitrine » qui exposent, en passant par les personnes qui cachent jalousement leurs trésors loin de la vue des gens.
On sera surpris de voir que les premières collections remontent au paléolithique – visibles ici à travers l’incroyable collection d’objets constituée par des hommes préhistoriques, prêtée par le Musée national de préhistoire des Eyzies, dont deux dents de requins. Des objets sans trace d’usage quelconque, nous dit Laurent Charles, ramenés avec une intentionnalité de collection. Qu’on ne s’y trompe pas, les collections d’histoire naturelle sont extrêmement variées : des animaux naturalisés, des insectes, des os, des coquillages…
Le Crocodile de Graves est un spécimen qui remonte à 1750, soit aux origines des collections du Muséum. L’animal sombre et terriblement vivant est d’une inestimable valeur scientifique car il a été décrit comme une nouvelle espèce.
L’exposition s’attache enfin à montrer les apports d’institutionnels ou de particuliers et revient sur leur intégration dans les collections du Muséum de Bordeaux – pour rappel ce dernier possède un million de spécimens, dont 3000 à 4000 sont exposés. L’insigne mâchoire inférieure du Tartarocyon (1) s’inscrit dans cette démarche. Le fossile a en effet été trouvé en 1993 par Jean-François Lesport, un paléontologue amateur qui l’a donné au Muséum de Bordeaux – sciences et nature pour y être conservé et accessible à la communauté scientifique et au public. Le 15 juin 2022 (30 ans plus tard !) une publication scientifique révèlera que cette mandibule provient d’un nouveau genre et d’une nouvelle espèce de grand mammifère carnivore nommé Tartarocyon cazanavei, qui vivait dans le piémont pyrénéen il y a plus de 12 millions d’années ! Coup de tonnerre, dans le (petit) Landerneau de la paléontologie.
Le paléontologue amateur qui cherchait des coquillages fossilisés, a bien identifié la mandibule d’un carnivore… Encore fallait-il savoir de quel type de carnivore. C’est l’étude, en collaboration avec une équipe internationale de paléontologues spécialisés, de l’espacement et de l’emplacement des dents qui a révélé qu’il s’agissait bien d’un animal de la famille des amphicyonidés. Un chien-ours géant de près de 200 kilogrammes.
La dent a orienté les chercheurs vers le fait qu’ils se trouvaient bien devant une nouvelle espèce, précise Laurent Charles. La morphologie et les dimensions de cette dernière la distingue bien des autres dents de ce groupe-là des amphicyonidés. Cette révélation est d’autant plus importante que la famille des amphicyonidés est complètement éteinte aujourd’hui… Laurent Charles ajoute qu’on doit considérer ce carnivore de Sallespisse comme une brique incontournable de cette grande famille qui servira encore pour la connaissance de ces espèces.
Le temps d’une publication, Bordeaux est devenu un point rouge clignotant sur la carte mondiale de la confrérie des (rares) paléontologues, mais cette découverte met également en avant qu’il est important de trouver des fossiles ! Il est tout aussi primordial de faire connaitre et de transmettre grâce à des publications et l'intégration des fossiles dans les collections publiques.
Cette mandibule – un os isolé – qui a été trouvée dans des sédiments marins littoraux de sables argileux assez fins est étonnamment bien conservée. On aimerait croire que des études pourront encore être envisagées sur la structure microchimique des dents par exemple… À l’aune de nouvelles techniques, de nouvelles connaissances, cette mandibule, fera peut-être l’objet d’un réexamen ! On peut citer le lézard, dont le crâne a été scanné en 2021 et comparé avec des espèces proches, permettant de le décrire comme une espèce de Guadeloupe disparue aujourd’hui : le Léiocéphale roquet (2) ! Qu’on se le dise, ces collections riches et diverses de spécimens sont d’importance pour les chercheurs d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Enfants, courrez-y, adultes emboitez-leur le pas, et redevenez le paléontologue ou le naturaliste en culottes courtes que vous étiez, le temps de cette formidable exposition.
COLLECTIONNER LA NATURE ?
Jusqu’au 5 septembre 2022
Muséum de Bordeaux - Sciences et Nature
5 place Bardineau - 33000 Bordeaux
Accueil : 05 24 57 65 30 - 05 56 48 29 86
(1) L’article complet sur la description du tartarocyon (en anglais) : Solé F., Lesport J.-F., Heitz A. & Mennecart B., 2022. A new gigantic carnivore (Carnivora, Amphicyonidae) from the late middle Miocene of France. PeerJ tartarocyon
(2) Publication : Bochaton C., Charles L. & Lenoble A., 2021. Historical and fossil evidence of an extinct endemic species of Leiocephalus (Squamata: Leiocephalidae) from the Guadeloupe Islands. Zootaxa, Vol. 4927 No. 3. Lézard de Guadeloupe
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