C’est un objet étrange que ce vase multicolore en verre, qui trône petitement mais droitement sur cette console du Musée des Arts décoratifs et du Design. D’autant plus étrange que sa place parait rapidement incongrue dans cette pièce cossue. A peine le nez posé dessus on s’apercevra que le vase n’est que verrerie de pacotille dans l'illustre salon Cruse-Guestier, légué à la Ville de Bordeaux pour le musée d'Art ancien, le 23 décembre 1936. A y bien regarder un peu de magie émane pourtant de cet étrange berlingot translucide, qui semble capter une partie de la lumière de la salle aux tonalités assez neutres. Ettore Sottsass s’amuse, avec nous, de cette incongruité. Il ne souhaite pas choquer mais bien questionner fonctionnalités et usages.
Sottsass, à l’initiative du mouvement de design protéiforme Memphis, né en 1981, bouscule le good design conventionnel pour (re)donner vie aux objets du quotidien. Un design qui appauvrissait, selon la jeune garde des designers iconoclastes, les objets pour les réduire à des formes toutes semblables.
Memphis demande qu’on s’attache à nouveau à ces objets pour les sortir de leur utilitarisme. Sottsass propose ainsi de revisiter, de détourner l’objet du vase. En lui donnant un nom, il semble enfin le sortir de l’anonymat auquel il semblait pourtant voué.
Etienne Tornier, responsable des collections modernes et contemporaines du madd, revient sur le mouvement Memphis, sur le projet de son fondateur Sottsass : « Ettore Sottsass joue sur l’opacité et la transparence. À la lumière du jour on a l’impression qu’il s’agit d’une composition de matériaux hétérogènes, alors que non, tout est en verre ! Jouer sur le faux, le trompe l’œil, l’impression de luxe, c’est la signature de Memphis. On s’interroge sur la fonction d’un tel objet…La fonction est toujours mise à mal chez Memphis ! ».
L’objet, totémique ou phallique selon, fait également apparaitre quelques influences liées à des voyages initiatiques et originels en Inde ou au Pakistan du designer. Les couleurs, les formes, les modes de vie, les cultures qu’il observe lors de ces voyages vont bouleverser sa vision métaphysique du monde et la conception de son métier.
Des voyages qui le conduiront à imaginer d’inhabituels assemblages de couleurs ou empilements de formes, à s’arroger le droit contre tous les principes de la culture des verriers vénitiens, par exemple, d’utiliser la colle ou le thermocollage pour la création du vase Ananke. Le rapport de Sottsass à la technique et à l’histoire est décomplexé, faisant fi, spontanément, des techniques ancestrales de verrerie de Murano.
Comme le soulignent les derniers mots de l’introduction au catalogue de l’exposition présentant sa collection de verres en 1986 : « Ne soyez pas surpris si certains des verres sont assemblés à la colle pour des raisons de facilité et de rapidité, plutôt que thermocollé selon la tradition. Et finalement quelle est la différence ? La culture de la colle n’est-elle pas une invention au même titre que la culture du verre ? ». Au détour de ce salon, à la vue de cette acquisition du madd, vous esquisserez peut-être un sourire, vous vous étonnerez sûrement, ce qui n’est pas la moindre des vocations d’un musée !
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