Ça y est, vous êtes invité à une dégustation, l'heure de vérité du Bordelais. Et soudain, l'angoisse : comment allez-vous parler de la robe plutôt dans les rubis ou dans les pourpres, du vin long en bouche, mais au nez musqué, savoir s'il est gouleyant ou plutôt tannique alors même que votre vocabulaire vinicole se limite à « il n'est pas mauvais » ?
D'abord en disant qu'« il n'est pas mauvais » peut suffire, pour commencer. « Il n'y a rien de pire que quelqu'un qui fait semblant, qui va vous dire qu'un vin sent la barrique alors qu'il n'est pas passé en barrique... Il vaut mieux ne rien dire de trop, ne pas parler tout le temps, ça insupporte celui qui anime la dégustation et ceux qui dégustent avec toi. »
Xavier Bègue, œnologue indépendant et formateur en œnologie, prend les choses simplement. Le reste, « c'est juste du marketing, du commerce. Ce sont les sommeliers qui ont inventé tout ça, qui pour jouer leur rôle de conseiller ont absolument voulu montrer leur expertise. » Finalement, la dégustation serait quelque chose de simple ? « L'essentiel, c'est d'exprimer ce qu'on ressent. »
Mais attention, on ne va pas se lâcher non plus, ce n'est pas l'open-bar du cercle de parole : « Le vocabulaire permet de comprendre ce que vous ressentez. Si c'est trop subjectif, on ne va rien comprendre. » Viennent alors les trois phases de la dégustation.
Premier acte, la vue. En tenant le verre par le pied, pas par le corps « sinon, on réchauffe le vin et ça peut changer son goût. Et surtout, ça laisse des traces de doigt qui vont gâcher la transparence. » Faites gaffe à vos doigts, mais sans aller jusqu'à jouer aux extrémistes non plus, comme ceux qui tiennent leur verre par le socle : « Et comment on fait pour le poser sans en mettre partout après ? » Évidemment, si on ne le pose pas, c'est plus simple.
On se pose alors des questions simples : « Est-ce qu'il est brillant, est-ce que la couleur évolue vers le bleu, le noir ? » Auquel cas le vin est jeune. S'il tire vers la rouille, le orangé (on dit « tuilé » si l'on veut glisser du vocabulaire) alors, il est plus vieux. Et pas la peine de faire le malin avec « il a de la jambe » : les coulures que le vin laisse lorsqu'on penche le verre, c'est juste des marques de l'alcool. Plus il a de coulures, plus il est alcoolisé, ce qui, à moins d'être un vrai pochtron, n'est pas l'essentiel.
Passons ensuite aux choses sérieuses : le nez. Et là encore, on peut se tromper : « On peut très bien dire qu'il sent la framboise si un autre a dit qu'il sent la fraise. C'est juste une odeur de fruit rouge. Il n'y a pas de fruits rouges dans le vin, c'est seulement une molécule alors ça reste un peu subjectif. » On peut juste trouver que ça sent le vin... mais on n'est pas obligé d'être persifleur non plus.
Il n'est pas interdit de commencer basique : « Est-ce qu'il sent fort ? » (on dit « intense », si vraiment, on veut) « Est-ce que c'est agréable ? Il faut essayer de repérer les arômes qu'on connaît tous : fruits rouges, jaunes. Les arômes de barriques sont des notes de pain grillé, de vanille, de bois. On peut procéder par élimination. » C'est même plus simple.
Et pour la bouche, c'est la même chose : du simple et de l'éliminatoire : « Première chose : est-ce que c'est agréable ? » Alors d'accord, c'est subjectif, mais c'est un peu le but recherché quand même que ça soit agréable. Repérer l'acidité, voir si c'est proche de ce qu'on sent au nez, ce qui arrive rarement alors que ce sont exactement les mêmes sens qui sont en jeu : la bouche ne capte que les arômes basiques et les textures, ça reste le nez qui analyse les choses plus fines. Cependant, la plupart du temps, l'arôme change du nez à la bouche, sauf quand le vin a des arômes très marqués, ce qui vous donne un indice de plus.
Et là se pose la question qui tue : on crache ou pas ? Dilemme : avaler, ça fait vite poivrot, cracher, ça fait dégueu. Il faut donc choisir son camp. Il faut savoir que si c'est une dégustation longue, au bout d'une vingtaine de verres goûtés et recrachés, on est quand même positif à l'alcootest qui est un petit animal très sensible. Mais si on avale, au bout d'un moment, la sensation d'ivresse fait diminuer les capacités à analyser les sensations. Donc, pas de meilleure école, ça dépend juste du nombre de verres à goûter.
Vous croyez que c'est fini et que vous êtes tiré d'affaire avec ces trois phases ? Nenni : Xavier Bègue en ajoute une quatrième « mais c'est personnel. Il faut faire le bilan de l'ensemble et dire ce que l'on ressent. Parce qu'un vin peut avoir une belle robe, un beau nez et être bien structuré, s'il ne vous plaît pas, ça n'a pas d'intérêt. » Parce que quand même, et on peut commencer par là, « l'important dans une dégustation, c'est de se faire plaisir. De rester simple. Et de prendre le produit pour ce qu'il est, avec humilité. Mais avant tout, le plaisir. » Et le folklore de la dégustation, on l'oublie.