Il y a quelque chose de Venise à Bordeaux. Un art de vivre qui a créé une architecture typique, qui marque le territoire. Au 16ᵉ siècle, les riches Vénitiens aimaient à quitter la ville surchauffée et ses puanteurs estivales et se firent construire des centaines de demeures de plaisance dans la campagne alentours. Ce fut une effervescence de demeures « palladiennes », du nom d’Andrea Palladio, l’architecte favori de la noblesse marchande de la Sérénissime.
À Bordeaux aussi, l'été était étouffant et pouvait être pestilentiel. Alors les riches Bordelais du 17ᵉ siècle commencèrent à migrer de la même manière, exode vacancier avant l'heure qui connut son apogée au siècle suivant.
Ainsi naquirent les « chartreuses » dont Bruno Beurrier, guide-conférencier, donne une définition : « un bâtiment rectangulaire et allongé à un seul ».
Il proscrit le terme de « longère » même si on y pense forcément. Pour lui, la fausse sobriété de la chartreuse cache tout autre chose, même si elle s'inspire du « bourdieu », l'exploitation agricole de l'époque : « Bordeaux est la ville d'Europe, avec Saint-Pétersbourg, qui compte le plus de bâtiments du 18ᵉ siècle. Mais il n'y a pas que dans la ville que cette architecture s'est imposée. Et quand je pense à un mot pour la définir… élégance. Lorsque j'ai réfléchi à un patrimoine commun à toute la métropole, c'est la première chose à laquelle j'ai pensé. »
On est loin de l'agriculture dans ces petites merveilles de sobriété, à l'intérieur aux tons pastel qui sont alors en vogue, aux décors qui évoquent l'amour, la chasse, la musique… Et surtout, on se plonge dans un art de vivre typiquement bordelais.
L'effervescence des chartreuses est liée à la fois à la situation de la ville et à sa richesse de l'époque. Elle pousse les plus riches, et ils sont nombreux, à s'exiler de mai jusqu'à la période des vendanges. Car au-delà de l'aspect « résidence secondaire », elles sont aussi des exploitations agricoles.
Les aristocrates et bourgeois bordelais ont tous plus ou moins un pied dans l'agriculture, essentiellement le vin et, de leur chartreuse, ils peuvent surveiller les travaux agricoles. Mais c'est aussi ici que l'on reçoit, pendant la belle saison, dans ces salons largement ouverts sur des jardins travaillés au cordeau. On aime la nature, certes, mais encore faut-il qu'elle soit bien peignée…
Peu à peu, le style évolue : on ajoute des colonnes pour faire antique au milieu du 18ᵉ siècle, on adjoint des pavillons sur les côtés. Certaines ont l'air d'être ornées d'un étage, mais c'est uniquement parce que les soubassements sont rehaussés, permettant d'adjoindre une vaste terrasse en haut de l'escalier qui mène à l'entrée… La chartreuse se décline, mais garde son prestige.
On pourrait s'en étonner aujourd'hui, mais Bègles, Villenave, Gradignan, Talence ou Pessac étaient autrefois la campagne. Avec l'urbanisation, il n'est pas rare de voir des lieux comme la maison du Dorat à Bègles cernée d'immeubles bétonnés.
Vous pouvez encore découvrir ce patrimoine avec notre visite Talence, banlieue chic, qui retrace l'histoire de ce lieu de villégiature très prisé.
Palmer est très connu, Beauval aussi : ils ont gardé un brin de verdure autour qui les resitue dans leur passé. Au 18ᵉ, quand on avait la possibilité de fuir le quotidien, on prenait le bateau pour se rendre dans sa chartreuse, évitant ainsi la foule sur les routes. Et pour le coup, on renouait plus encore avec les inspirateurs vénitiens !
Si vous êtes féru d'architecture, vous pouvez continuer votre découverte des bâtisses bordelaises avec notre tour d'horizon des structures modernes en béton.