Allez, on ne va pas se gêner : on commence direct par le grand portail d'honneur, celui de la faculté des sciences, créé en 1963 par Raymond Subes, ferronnier d'art très en vogue à la période Art Déco pendant laquelle il réalise notamment les rampes des prestigieux paquebots de croisière et celles de grands hôtels parisiens qui partagent au moins quelque chose avec l'université de Bordeaux. A défaut du confort... Mais pourquoi donc l'entrée d'honneur pour le côté sciences ?
Pas de paranoïa de littéraire confronté à l'arrogance scientifique s'il vous plaît ! C'est dû à l'histoire du campus dont la construction commence en 1943 par ce qui deviendra le CREPS, sur le domaine d'un château du 17e siècle, le domaine de Monadey. On peut encore voir ce bâtiment néo-classique dont le parc est désormais occupé par des terrains de sport.
Style rationaliste
Ce n'est qu'en 1951 que le projet prend forme par l'achat du Castel-Terrefort et du château Bonnefont, deux chartreuses qui subsistent encore, perdues au milieu des bâtiments des sciences dont la construction commence en 1956 et pour lesquels le magnifique portail des Subes est créé.
Georges Coulon, qui a notamment collaboré avec l'architecte Mallet-Stevens, est chargé du chantier et il tire bien parti des restes du parc du château Bonnefont.
Malgré les constructions un peu en vrac actuelles, on peut encore deviner l'idée générale : de hauts arbres autour desquels s'éparpillent ces bâtiments typiques de la glorification de l'industrie et des sciences, dans le plus pur style rationaliste.
Construits dans un souci de rationalité scientifique (pour être carré, c'est carré!), ils se distinguent par leur parement rosâtre en gravillon de porphyre.
Mais la rectitude du tout est bien contrebalancée par la pièce d'eau centrale où coulait alors le ruisseau d'Ars, canalisé et enterré pour l'occasion. On peut d'ailleurs remarquer, juste à côté, une curieuse pyramide en pierre héritée des anciens domaines et dont on ne connaît pas l'utilité.
A l'assaut de l'autre côté
Il faut attendre la période 64-66 pour passer de l'autre côté du pont et commencer la construction des autres bâtiments scientifiques, toujours dans cette riante architecture vaguement néo-stalinienne, désormais et récemment habillée de verre. Ça fait à peine moins goulag mais ça protège du froid. A noter sur place une sculpture de Jacques Bertoux (1971), sculpteur peu connu mais qui a beaucoup produit pour l'université. Un peu envahie par l'herbe... les scientifiques sont peu sensibles à l'art ?
Mine de rien, c'est l'architecte Jacques Carlu qui les a conçues et ce n'est pas un deuxième couteau : grand prix de Rome 1919, il a notamment dessiné ou participé au Palais de Chaillot et à celui de l'OTAN (aujourd'hui université Dauphine) à Paris.
Allez, on grignote encore et l'on passe en 1965 de 80 à 250 hectares où l'on va enfin pouvoir loger les lettres et le droit. C'est d'ailleurs cette évolution par à coups qui explique le bazar architectural du campus où pas moins de cinq styles et au moins autant de méthodes de construction se côtoient. Sans parler des constructions postérieures, à partir des années 90 qui, pour le coup, s'insèrent à la va-comme-je-te-pousse, façon météorites tombées du ciel au hasard.
On efface tout et on recommence
Pour ces bâtiments, c'est Louis Sainsaulieu qui s'y colle. Lui, c'est un peu le grand coordinateur du campus, celui qui gère le plan-masse presque depuis les débuts. Enfin... il essaie vu les changements incessants, les ajouts de terrain, les modifications de projets : en trois ans, il a dû refaire pas moins de 22 fois son plan général du campus. Mais pour Lettres et droits, c'est lui qui est à la barre, avec Pierre Mathieu. Et comme pour l'alignement décalé des bâtiments de sciences dont la perspective est rectiligne mais pas tout à fait, il construit un plan en U dont la base est la bibliothèque commune et les deux facultés sont les côtés.
C'est symétrique, mais pas tout à fait : la bibliothèque n'est pas tout à fait au centre, la route qui sépare les deux universités non plus. Architecturalement parlant, on est dans la même inspiration rationaliste qu'en sciences mais un peu moins formel tout de même, avec quelques petites choses qui sortent de ce côté un tantinet rigide : l'Amphi 700 de lettres en fait partie grâce à ses beaux volumes insérés dans la barre en peigne de faculté. Et dans les annexes, la Maison des Sciences de l'Homme et son entrée majestueuse sont à noter : elles sont de Paul Daurel qui a participé à l'ensemble de cette partie. Il est l'un des maîtres d'oeuvre de la Cite du Grand-Parc alors le béton, c'est son dada.
Un architecte fait école
Parmi les grands noms de l'architecture de l'époque, il y en a un qui émerge, à l'origine de l'école d'architecture qui, en 1974, devait conclure la première phase de construction du campus. Forcément, pour ce bâtiment, il fallait quand même essayer de se montrer original pour inspirer les futurs étudiants et c'est Claude Ferret qui s'y est collé : il est surtout connu pour la reconstruction de Royan (1945-54) dont il a fait les plans et les principaux bâtiments.
Une pointure dans l'histoire récente de la discipline. Et comme un peu d'art ne fait pas de mal, on ne loupera pas la « Floraison » de Gaston Watkin à l'IUT de Gradignan, un spécialiste de la sculpture monumentale qui travaillait beaucoup sur la symbolique et l'apesanteur (1977). Et la mosaïque de Marc-Antoine Bessière, dit Louttre B., à la fac de lettres (1969). Un peintre-sculpteur qui a aussi une cote assez élevée... mais pas forcément pour cette chose effectivement très 70's. Il a aussi fait les bornes en pierre de la cour de la fac de lettres sur lesquelles des générations d'étudiants ont posé leur fessier sans aucun respect pour l'art. Franchement, vous pourriez faire ça ailleurs !