Le mieux, si l'on vient de la rive gauche, c'est de prendre le Bat3 . De là, on peut se mettre à la place de Stendhal qui écrivait en 1838 :
« Je me tiens sur le pont malgré les gouttes d’eau. Je veux voir en détail cette admirable colline de Lormont, qui se compose de mamelons successifs dont les crêtes sont couronnées de maisons de campagne et de grands arbres ».
Il n'y avait pas de Bat3 à l'époque mais déjà, Lormont était considérée comme le nec plus ultra de la vue depuis la courbe de la Garonne à Bordeaux.
En 1903, Ardouin Dumazet>[1] pouvait ajouter que « Les coteaux de Lormont, raides, rocheux, verdoyants, couronnés de châteaux et de villas entourés de parcs d’une végétation opulente et grasse, commandent ce passage rétréci du fleuve. Il y a là-haut d’adorables sentiers entre des haies de lauriers et de lauriers-tins dont la somptueuse végétation hivernale m’a laissé un souvenir persistant... »
>[1] Journaliste français et auteur de guides touristiques à la fin du 19e et le début du 20e siècle.
Survendu, le truc ? Allons donc : certes, pour le rive-gauchien endurci, Lormont est un bout du monde un peu douteux.
Mais pour qui débarque sur la place Aristide Briand, il y a largement de quoi se souvenir que Lormont fut longtemps « l'Asnières de la Gironde », le lieu de promenade des Bordelais qui empruntaient les « gondoles » pour traverser la Garonne jusqu'à la création du Pont de Pierre en 1822.
La dernière de ces gondoles fut supprimée... en 1946. C'est dire que ce port attirait et il y a de quoi.
De l'eau partout
Il suffit de suivre la ligne orange qui part directement du ponton et grimpe solidement la rue du Général de Gaulle vers la place de l'Eglise où l'on trouve... l'église parce que les choses sont bien faites.
La légende la fait remonter l'église Saint-Martin à Charlemagne qui serait passé ici en 778 pour aller mater du Sarrasin en Espagne (et se prendre une peignée à Roncevaux au retour). Possible, mais l'actuel monument date de la fin de la Guerre de Cent Ans (milieu 15e siècle) et ça lui donne déjà fière allure, à la transition entre les arts roman et gothique.
Allez zou, assez soufflé et l'on continue la montée en jetant un œil sur les belles façades (au 45, l'ancienne « Poste-Télégraphe-Téléphone » et au 47, une magnifique porte en voûte, plutôt rare).
Avant d'arriver au lavoir Blanchereau, en contrebas. C'est le plus ancien de la commune (14e ? 16e ? allez savoir) qui était connue pour la qualité de ses eaux et son nombre de lavoirs : jusqu'à huit pour 4000 habitants au début du 20e siècle dont cinq existent encore.
La lavoir Blanchereau est par ailleurs le seul monument qui profitera du loto du Patrimoine en Gironde initié par Stéphane Bern.
Du sang aussi
Allez, on traverse et on continue de grimper. Cette fois-ci, les escaliers de la rue du Sang qui doit son nom guilleret aux rivières de sang qui la dévalaient pendant les combats qui eurent lieu au château au dessus pendant la Révolution. Le genre de détail qui vous met une de ces patates !
Justement, émergeons de l'ancien coupe-gorge et on se retrouve devant l'entrée du château du Prince Noir, majestueuse en diable, avec la rocade qui gronde à droite. Contraste garanti.
Mine de rien, cet ancien château ducal vit naître Richard II d'Angleterre avant de devenir propriété des archevêques de Bordeaux jusqu'à la Révolution où donc, ça étripait sec.
Aujourd'hui, le château est surtout plébiscité par les épicuriens : Vivien Durand, chef étoilé, y propose une carte évoluant au gré des saisons.
Une petite marche « de transition » et l'on traverse le parc du Bois fleuri où rien n'empêche de lever le nez de la ligne orange que l'on suit depuis désormais 30 minutes pour aller prendre le frais sous les beaux arbres qui entourent ce petit manoir que l'on achèterait bien pour l'euro symbolique avant qu'il ne finisse par tomber définitivement en ruine.
Mais bon, allez, mieux vaut marcher plutôt que de nourrir d'inutiles illusions et la rue de Fontainebleau vous mène tout droit à un bâtiment couronné de murs en bois qui passerait totalement inaperçu si l'on ne savait pas que c'est un ancien château d'eau. On découvre ainsi que les châteaux d'eau pouvaient avoir toutes les formes, jusqu'aux plus ordinaires, avant d'être standardisés avec les formes qu'on leur connaît désormais.
Entre Saint-Emilion et le Périgord
Une belle allée de feuillus mène droit devant l'ancien cimetière où la ligne orange s'arrête mais où il faut quand même entrer après avoir profité de la vision incongrue de ce champ de croix que surmonte au loin le Pont d'Aquitaine.
Décidément, on aime les contrastes dans le coin. Même sans la ligne de guidage qui disparaît dans le cimetière, ne vous perdez pas : prenez tout droit et sortez au fond à gauche par le petit portail noir (ne descendez pas, sauf si vous voulez raccourcir). La rue du Kiosque, même avec le Pont d'Aquitaine en perspective, c'est un peu la campagne.
Si vous vous retournez, c'est encore plus saisissant : vous êtes quasiment à Saint-Émilion ou dans un village périgourdin.
Au bout de la rue, on peut encore sortir du tracé et prendre à droite pour un aller-retour rapide rue Jean Blandin qui a elle aussi ses petits airs de village. Ça vous laisse quand même le temps de rejoindre le port tranquillement : si vous avez marché à un rythme normal, vous arrivez pile-poil pour le Bat3 du retour.
Sinon, il y a assez de troquets sur la place pour attendre le suivant. N'oubliez pas d'admirer le trompe l’oeil de l'artiste graffeur Jean Rooble sur le viaduc Sncf, c'est lui qui a tracé la ligne orange.