Les cafés qui ont fait l’histoire de Bordeaux
Le centre de Bordeaux regorge de cafés (brasseries, restaurants…) qui ont une âme, une histoire, un héritage. Si vous avez soif et faim, vous pouvez tenter un petit marathon du bon goût. Ou plutôt étaler ça dans le temps, pour plonger à petite dose dans un passé encore très présent parfois.
par Jean-Luc Eluard
publié le 11 janvier 2019
modifié le 11 juin 2024
Le mythe de la grotte au Bar Castan
Dans les années 80, c'était du dernier ringard d'aller traîner dans ce troquet vieillot perdu sur les quais. Injuste, évidemment, et les amateurs de kitsch bravaient l'interdit pour profiter de ces rocailles invraisemblables qui rendent le Bar Castan unique.
Le café nait en 1890 de la volonté de Jean-René Castan, ancien capitaine de corvette et négociant en épices. Habile publiciste, il sait que son pedigree n'est pas commun dans le secteur et habille son bar pour faire rêver le client à ces ailleurs où il est censé être allé. En 1900, il confie à André Tournier le soin de créer le décor : une rocaille assure le spectaculaire. Du ciment qui recouvre un maillage de bois, et le tour est joué, on est dans une grotte ! À l'origine, il y avait même des fontaines qui sortaient des murs pour renforcer l'effet.
Vous y trouverez un pilier central en forme de palmier, des fresques, des mosaïques, des frises de coquillages... et pour couronner le tout, une devanture en verre polychrome qui inonde le lieu d'une lumière scintillante. Larguez les voiles moussaillons, on est déjà en Papouasie !
Bar Castan - 2 Quai de la Douane, 33000 Bordeaux
Le Noailles, histoires de Homar(d)
Ici, le homard n'est pas à la carte, mais dans l'histoire : Mme Homar, la fondatrice en 1932, n'était pas du genre commode. Elle s'installait à la table numéro 1 pour contrôler les plats à leur sortie de cuisine et tenir les serveurs à l’œil. À l'époque, il n'y avait pourtant qu'un seul plat à la carte, la choucroute, que François Mauriac venait régulièrement chipoter, lui qui avait ses habitudes ici.
Plus de Mauriac aujourd'hui mais toujours de la choucroute qui a été rejointe par une ribambelle de plats traditionnels et bien tenus. Normal pour un établissement qui se définit lui-même comme « la plus parisienne des brasseries bordelaises ». Les fresques de Dauguet au mur, les miroirs, les banquettes de velours rouge et les tenues uniformes des serveurs rappellent bien la capitale. Mais ne vous y trompez pas : la brasserie fait assurément partie des plus beaux cafés de Bordeaux.
Chaban-Delmas, lui, appréciait autre chose : quand il avait à faire dans le coin, il entrait en trombe, saluait à la cantonade, allait aux toilettes et repartait aussi sec. Essayez un peu, pour rigoler...
Le Noailles - 12 Allées Tourny, 33000 Bordeaux
Brasserie l'Orléans, le café des célébrités
Dans ce beau café historique, le meilleur, c'est la brochette de stars. Elle n'est pas à la carte, mais dans le livre d'or ! On y trouve tout ce qui fit le cinéma et le théâtre des années 50 aux années 80 et encore un peu de nos jours. Spectaculaire. Surtout pour une brasserie qui arbore fièrement sur son store son année de création : 1942.
De quoi être heureux de cette continuité, mais pas forcément de son origine : à l'origine, c'était un établissement de luxe pour les officiers allemands de la Kommandantur toute proche et de tous les joyeux organismes qui l'accompagnaient dans le quartier. Depuis, les Michel Bouquet ou Danielle Darrieux ont un peu fait oublier cette histoire un peu glauque !
Brasserie l'Orléans - 36 Allée d'Orléans, 33000 Bordeaux
Le Chapon Fin, du café de quartier au 3 étoiles
Attention, monument historique ! Au sens figuré comme au sens propre puisque le restaurant est protégé au titre des Monuments Historiques. Pour une raison toute simple : la rocaille de la salle, créée en 1901 et l'une des plus spectaculaires de France.
À l'époque, on va encore plus loin : on laisse au centre de la salle l'un des platanes plantés ici au 18ᵉ siècle dans l'ancien couvent des Récollets. Il n'en reste aujourd'hui que la verrière et un certain raffinement qui date : le Chapon Fin fut l'un des 33 premiers restaurants classés 3 étoiles par le premier guide Michelin en 1933 grâce à Joseph Sicard. Ce chef arrivé ici en 189 ne quitta les fourneaux qu'en 1960, le temps de changer en institution ce bistro de quartier né en 1825. Au niveau de l'estomac, il n'y a que ce passé qui soit pesant…
Le Chapon Fin - 5 Rue Montesquieu, 33000 Bordeaux
Le 1925, le café suranné relooké
Avant, la première chose qui vous accueillait était le magnifique lustre en cristal, brillant de mille feux au plafond, sorte de phare qui éclairait cette partie ombragée de la place des Quinconces. L'établissement s'appelait le Bistrot des Quinconces, le nom n'était pas original, mais la décoration magnifiquement surannée était un décor de film.
Verres biseautés aux portes (ils sont restés), chromes et dorures, chaises inconfortables, mais authentiquement bistro, l'endroit avait quelque chose de rassurant et d'intangible. Depuis l'été 2018, il est devenu « Le 1925 », le cristal a disparu, les chaises se sont faites confortables, les dorures sont plus discrètes : l'endroit vise désormais le côté « brasserie chic » mais les moulures au plafond gardent le goût de l'art déco.
Le 1925 - 4 Place des Quinconces, 33000 Bordeaux
Le Régent Café : l'ancienne frontière
Ce fut longtemps une sorte de checkpoint, un point de passage entre deux mondes : en façade, l'entrée huppée donnant sur le Grand-Théâtre et le Bordeaux du Triangle d'Or… et derrière, l'entrée populaire, donnant sur le quartier Saint-Pierre, à l'époque encore un peu canaille. De fait, Le Comédie brassait deux populations. Original !
Désormais, le huppé a gagné tout le quartier et Le Comédie a laissé place au beau Régent Café. Si la déco a perdu un peu de son particularisme, sa terrasse donne encore sur l'un des plus beaux décors de la ville et il reste un mobilier imitation 19ᵉ de belle facture.
Le Régent Café - 52 Cours du Chapeau-Rouge, 33000 Bordeaux
La Belle Époque : toujours jeune, le Vieillard !
La Belle Époque, parce que... hé bien, c'est à la Belle Époque qu'il est né. Un peu avant pour être vraiment pinailleur : l'hôtel de Nantes date de la moitié du 19ᵉ siècle et déjà, l'endroit était raffiné, l'un des premiers à accueillir l'éclairage électrique et un ascenseur.
Pour le septième ciel, c'est de courte durée : l'hôtel périclite et seul subsiste le restaurant qui a le bon goût de garder la décoration qui date de 1870. Une bonne idée que voilà, qui permet d'admirer béatement l'un des plus beaux décors de faïences Vieillard qui soit. Faïence Vieillard, c'est une manufacture fondée par Jules Vieillard qui s'est fait un nom dans le genre « haut de gamme et de bon goût ». De fait, le décor floro-oiseleur d'inspiration vaguement persane fait facilement oublier qu'on est aussi venu ici pour manger.
La Belle Époque - 2 allées Orléans, 33000 Bordeaux
Un café historique à la Victoire ? Et viva Le Plana !
Ici résonne encore la chanson « E viva España » de l'icône populaire des années 1950, Georgette Plana. Un de ces délicieux bonbons kitsch que l'on ne chante que dans un état second, mais en insistant bien !
Et pour cause, la chanteuse a grandi ici : le café Le Plana n'a pas changé de nom depuis que ses parents vinrent s'y installer, venant d'Agen au lendemain de la guerre (la Première, c'est dire si ce n'est pas d'hier). La mère, Marie, avait une sacrée réputation de cuisinière, le père Clovis, rescapé de la guerre avec un léger "pet au casque" (on peut comprendre) fréquentait les maisons closes et offrait son coup un peu facilement ; alors la petite Georgette chantait et dansait sur les tables pour retenir la clientèle.
Danseuse étoile à l'Opéra, comédienne issue du conservatoire, elle eut une carrière bien remplie qui ne rejaillit pas forcément sur l'établissement puisque peu connaissent l'origine de ce nom. Ceci dit, l'ancienne pension pour chevaux y a gagné ses galons historiques et devient chaque année le fief de nombreux étudiants.
Restaurant Le Plana - 22 Place de la Victoire 33000 Bordeaux
Le Café des Arts : dernier café avant la Révolution
Il fut une époque où l'on trouvait là tous les maoïstes et les trotskystes de Bordeaux (ça ne fait pas lourd, mais la terrasse était moins vaste). Le Café des Arts, c'était « le bar à gauchos », curieux destin pour un établissement géré par une catholique pratiquante, pétrie d'humanisme et d'humanité.
Michèle Lacay fut prof de maths au lycée du Mirail tout proche avant de reprendre ce bar, un peu forcée par les événements familiaux. C'est que l'endroit était idéalement placé, à mi-chemin de l'ancienne fac de lettres et du lycée Montaigne. Idéalement pour attirer tous les chevelus dans les années 60-70 et servir d'infirmerie de premiers soins lorsque Mai 68 arriva jusque sous ses fenêtres. Situé au rez-de-chaussée d'un hôtel particulier de 1750 classé Monument Historique, le Café des Arts a connu le même destin que sa clientèle estudiantine : il a pris du bide et de l'aisance, mais il règne encore un parfum de pavés pour qui sait s'y attarder.
Le Café des Arts - 138 Cours Victor Hugo 33000 Bordeaux
Du Café du Levant au Bouillon Saint-Jean
Tous pourris, les troquets de gare ? Holà, un peu de nuance ! Face à la gare émerge le Bouillon Saint-Jean, digne héritier du Café du Levant, dont la somptueuse devanture suffit à elle seule à signaler l'endroit. Une mosaïque d'inspiration orientale qui annonce, à l'intérieur, un décor à la jonction des arts déco et nouveau qui connurent à Bordeaux un certain succès. Elle date de 1923, mais l'établissement est plus ancien : sa construction en 1897 précède d'un an celle du bâtiment actuel de la gare (qui était auparavant en bois).
Rattrapé par le côté « bar de gare » dans les années 1980, le Bouillon Saint-Jean a retrouvé du lustre depuis quelques années et propose, comme tout "bouillon" qui se respecte, de véritables plats de bistro à prix serrés.
Bouillon Saint-Jean - 25 Rue Charles Domercq 33800 Bordeaux
La Gare d'Orléans et son café en rooftop
Il y a comme ça des endroits qui n'ont pas de chance dès le départ : construite en 1852, la Gare d'Orléans est détrônée par Saint-Jean dès 1861. Elle est frappée par un premier incendie en 1906 sans que cela suscite de restauration notable, et dès les années 50, elle n'accueille plus que le fret. Pire : dans les années 60, l'imposante statue de sa façade disparaît sans laisser de trace et son inscription aux Monuments Historiques ne l'aidera pas à garder sa dignité. Abandonnée, objet de projets ambitieux aussitôt oubliés (un grand lieu multiculturel devait y voir le jour), elle est livrée au pillage et finit par brûler.
Aujourd'hui, il faut être bon en archéologie pour reconnaître une gare, mais il faut l'avouer, le bâtiment en impose. Ses toits offrent une très belle vue sur Bordeaux « de l'autre côté » : la terrasse idéale pour traîner longtemps après le repas. Pour en profiter, rendez-vous au Siman : une brasserie branchée qui propose des plats de saison et un brunch dominical !
Le Siman - 7 Quai des Queyries, 33800, Bordeaux
Au Saint-James, la vue est belle
Alors pour être clair tout de suite : ce n'est pas « Saint-Djèmse » mais bel et bien « Saint-Jame » qu'on dit. « James », c'est le gascon pour « Jacques » et la rue du même nom était la principale voie de départ vers Saint-Jacques.
Ceci étant dit, le Saint-James, ouvert en 1989, est devenu en quelques années THE endroit où aller pour faire classe. Il faut dire qu'on le voit de loin, avec ses quatre pavillons conçus par l'architecte Jean Nouvel en imitation des séchoirs à tabac de son enfance lot-et-garonnaise et en prolongement d'une superbe chartreuse du 18ᵉ siècle. Cela étant, si on le voit de loin, ça marche aussi dans l'autre sens : Bouliac a toujours été un des plus beaux points de vue sur la vallée de la Garonne et les chambres sont conçues pour en profiter au maximum avec leurs fameux lits surélevés. Attardez-vous sur la somptueuse terrasse de son café, vous ne la quitterez plus !
Le Saint-James - 3 Place Camille Hostein, 33270 Bouliac