Sur les traces des remparts de Bordeaux
Marre du côté bien peigné et bien poli du Bordeaux classique ? Fatigué de la délicatesse du Bordeaux 18e ? Allons nous encanailler dans le Bordeaux guerrier, dans la ville fortifiée, celle des forts et des murailles. Suivons les anciennes fortifications et Montjoie Saint Denis ! Pourfendons l’envahisseur !
par Jean-Luc Eluard
publié le 15 février 2019
modifié le 09 juillet 2024
Les vestiges cachés des remparts de Bordeaux
C'est là, dans une petite rue parallèle au Cours de l'Intendance, que l'on trouve l'un des rares vestiges du mur romain construit en 286 et qui devait rester intact jusqu'au 11e siècle.
Rue Paul Painlevé (entre le Cours et la Place Puy Paulin) se dresse une maison en forme de tour. Et pas qu'en forme : c'est une tour romaine. Bon d'accord, pas mal remaniée : seules les fondations sont restées romaines, les vestiges retrouvés lors de travaux dans la cave sont exposés sur la terrasse.
Profitez en bien, vous aurez peu l'occasion de retrouver les fortifications romaines qui s'étendaient du Cours du Chapeau Rouge à Gambetta, direction rue des Remparts (où l'on trouve le plus de vestiges dans les caves) et retour par le Cours Alsace-Lorraine.
Une enceinte ? Juste un bourrelet !
Mais pour l'instant, on part vers la Garonne en empruntant la rue du Pont de la Mousque (du nom d'un pont qui surplombait le fossé des remparts qui étaient là, à votre droite). D'ailleurs, en regardant la rue en enfilade, vous la voyez, cette maison qui dépasse un peu de l'alignement des autres ? Il y a de fortes chances que ce soit l'emplacement d'une autre tour : la seule chose qui n'ait pas changé en 2000 ans, avec l'Église Catholique, c'est le cadastre.
Pour le reste, vade retro : les constructions du Grand Théâtre et de la place de la Bourse ont totalement éliminé toutes traces d'une quelconque muraille.
Les traces du Bordeaux fortifié
Il faut prendre la rue du Quai Bourgeois pour retrouver le tracé de la muraille. Pas sur la rue, contrairement à ce que l'on pense souvent, mais à votre droite : les maisons de la première rangée sont appuyées sur les remparts qui existent bel et bien puisqu'ils leur servent de mur du fond. Une preuve ? Si vous êtes curieux, empruntez la petite rue du Quai Bourgeois (oui, il y en a deux, étonnant, non?), allez presque jusqu'aux rails du tram et regardez : au-dessus de la première maison, on voit clairement le bourrelet typique du rempart 16e.
C'est le même mur qu'on retrouve plus loin, à Saint Michel, au bout de la Rue de la Tour du Pin (ben oui, une tour de fortification). Là, une maison détruite laisse apparaître le mur d'enceinte.
Témoin du Moyen Âge à Bordeaux : la Porte Cailhau
Mais auparavant, vous n'aurez pas manqué la Porte Cailhau, l'une des multiples entrées de la ville au 15ᵉ siècle. Où l'on voit bien, sur les côtés, les arrachements des fortifications. D'ailleurs, sur un côté, entre les deux hauts immeubles, un décrochement avec une maison plus petite, pile poil entre les deux rangées de maisons... et à la place du mur. Et des traces comme ça, il y en a partout.
Derrière la Porte de la Monnaie, tiens. Elle date du 18e mais succède à une porte médiévale et derrière elle, comme par hasard, on trouve pareillement des immeubles qui s'imbriquent mal et un mur un poil trop haut pour être honnête.
Faibles défenses, mais restes riches
Allez zou, assez passé de temps à se crever les yeux sur des minuscules détails : curieusement, c'est dans la partie la plus faible des défenses bordelaises qu'il reste le plus de traces. Comme ce pan entier de la muraille 14e (remaniée 16e, où l'on retrouve le fameux bourrelet de tout à l'heure) à côté du conservatoire.
Mais oui, aussi loin du centre ! Au 14e siècle, Bordeaux, c'est Carcassonne puissance 10.
Là, les fortifications longent l'estey de Sainte Croix et c'est sans doute grâce à la fontaine qu'elle abrite que cette partie des remparts a été sauvée.
De là, on file vers la partie la plus préservée : au 24 de la rue des Douves, on aperçoit, dans le parking, un pan de mur recouvert d'un filin pour empêcher qu'il ne s'effrite. Et allez, le petit plaisir de la balade : prendre l'escalier derrière et se retrouver dans le « Jardin des Douves » qui est en fait la plus longue partie visible de la muraille 14e.
Pas mal remaniée aussi : à l'époque, seul un étroit chemin de ronde la surplombait. Si on y trouve désormais un jardin, c'est parce qu'elle a été remblayée au 17e siècle pour installer l'artillerie (qui visait davantage la population un peu turbulente des faubourgs que d'éventuels ennemis extérieurs, le maintien de l'ordre a peu progressé en trois siècles).
Circulez, y'a rien à voir
De là, si vous avez l'esprit commémoratif, vous pouvez vous faire l'échappée « Place de la Victoire » (ancienne porte d'entrée médiévale), rue Saincric (le mur de la rue de la Miséricorde est celui du couvent de la Miséricorde, pas celui des remparts qui passaient au milieu des maisons).
De là, l'enceinte traversait l'hôpital Saint-André, et rejoignait le mur romain rue des Remparts. En laissant quand même le vestige du Fort du Hâ, qui, avec le Fort Louis (place André Meunier) et le Château Trompette (place des Quinconces), étaient les trois places fortes des remparts. Mais bon, jusqu'au Hâ, il n'y a rien à voir, c'est juste pour donner une idée, ne vous fatiguez pas à poursuivre des chimères.
Sous vos pieds et dans une banque : les remparts
Retour par le Cour Victor Hugo, anciens fossés de l'enceinte du 12e et là, de jolies surprises pour les amateurs.
Allez, un peu de travaux à faire : dans le magasin de bricolage qui fait face au lycée Montaigne, allez donc à droite après l'entrée. Là, au fond, une dalle vitrée laisse voir le sous-sol où l'on peut voir les restes imposants de la triple porte (c'est pas rien, trois fois deux tours) qui marquait cette entrée stratégique.
Et en face, si vous n'avez pas peur de passer pour un cambrioleur, osez un regard dans l'agence bancaire : on voit les contreforts d'une tour et, mais oui ! : une meurtrière. L'équipement parfait pour une banque !
Comble de la frustration
Et en descendant encore un peu le Cour, une oraison devant le temple de la frustration de l'amateur de Moyen-âge : derrière des grilles récentes, l'impasse de la Fontaine Bouquière passe entre les deux murs du 12e siècle qui descendent vers la Garonne, le Mur-Neuf et le Mur Vieux, système extrêmement rare pourtant.
À Bordeaux, il est possible qu'un premier mur ait été construit à la va-vite pour faire face à l'urgence avant d'être doublé ensuite, une fois le danger passé et les finances regonflées.
Une fois que l'on s'est bien lamenté devant la grille en espérant qu'elle s'ouvrirait (comptez-y moyennement), on finit par le symbole, dans le passage de la Tour de Gassies (lui aussi espace public de plus en plus souvent fermé, mais entrée de jour par la rue des Argentiers) : un moche petit empilement de caillasse.
C'est là qu'il faut ressortir votre imagination : c'est tout ce qu'il reste de la tour romaine et donc de toute la muraille romaine. Là, on est vraiment dans du vestige pour passionnés. Mais quand même, ça fait quelque chose. Au moins l'envie d'aller se reposer après cette marche.
Mais avant, il faut s’équiper : de bonnes chaussures parce qu’il va falloir trotter et surtout, un bon sens de l’observation… et de l’imagination à gogo.
Parce que si les murailles sont encore partout, elles sont rarement visibles, englobées qu’elles sont dans les constructions postérieures, perceptibles seulement dans les traces de décrochement suspect entre deux maisons, dans le tracé anormal d’une rue ou dans un toponyme qui en dit long.
Mais puisque le Bordeaux 18e a tout grignoté, commençons directement chez lui, chez l’ennemi : à deux pas du Grand-Théâtre.