Les halles et marchés hier et aujourd’hui
Les marchés de Bordeaux, c’est comme une famille : ils se déplacent, déménagent, donnent leur héritage à un autre et finissent par faire un arbre généalogique qui pourrait remonter très loin. Au Moyen-âge pour certains, plus récemment pour d’autres. Mais même si les modes y ont leur part, la continuité reste de mise.
(Cet article est le tome 4 de notre série « Bordeaux hier et aujourd’hui ». Le tome 1 est consacré aux quais, le tome 2 s’intéresse aux places, et le tome 3 s’intéresse à la rive droite.)
par Jean-Luc Eluard
publié le 06 mai 2020
modifié le 16 février 2023
LE MARCHÉ BIO PLACE SAINT-PIERRE À BORDEAUX
Quand le bio était une curiosité
Au milieu des années 70, les marchés sont ringards, toute la France découvre le bonheur des produits industriels des grandes surfaces.
Toute la France ? Non, car dans le Lot-et-Garonne, un petit groupe de paysans résiste. Ils ont déjà créé un premier marché bio à Villeneuve-sur-Lot (le 1er de France) et ils décident de conquérir Bordeaux.
Le 2ème marché bio de France se crée à quatre ou cinq producteurs sur la Place Saint-Pierre en 1976. A l'époque, le quartier est encore populaire et justement, ce sont les plus modestes qui apprécient ce côté sympa du marché.
Aujourd'hui, le bio fait son beau
La place Saint-Pierre est rapidement devenue trop étroite pour le marché qui s'est d'abord déplacé à l'emplacement du miroir d'eau dans les années 80, avant de migrer vers les Chartrons dans les années 90, mais toujours avec le même noyau de pionniers dont Vincent Pozzer, fils du créateur.
C'est désormais un des rendez-vous « so Bordelais », le jeudi matin, de venir faire son marché ici et d'en profiter pour grignoter un morceau en bord de Garonne.
LA BROCANTE DE MÉRIADECK
Mériadeck, brocante au village
Marécage insalubre pendant longtemps, mis en valeur brièvement au 17ème siècle pour en faire un lieu de promenade « upper class », Mériadeck deviendra vite le quartier mal famé de la ville. Mal assaini, il garde sa mauvaise réputation de lieu de tous les miasmes. Et de tous les vices : la mairie en fait très officiellement le quartier des prostituées en 1838.
Il l'est toujours au 20ème siècle, mais c’est surtout celui d'une vraie convivialité ouvrière, une sorte de village où le marché aux puces est une référence, l'assurance de trouver tout ce que l'on cherche et même davantage. Et en plus, il est ouvert tous les jours !
Aujourd'hui, des commerces sans village
La place de la brocante avec sa fontaine centrale a disparu dans les années 70, même si ce seul point d'eau du quartier a été transféré devant la galerie des Beaux-arts.
Considéré comme trop insalubre pour être rénové, Mériadeck sera rasé et reconstruit entre le début des années 70 et le milieu des années 80 pour laisser la place à un quartier au concept futuriste : un rez-de-rue réservé aux voitures et une dalle à l'étage pour les piétons. Initialement, elle devait même se poursuivre jusqu'à la place Gambetta et la rue Sainte Catherine, avant que ce projet soit mis de côté à la fin des années 70.
LE MARCHE DES CAPUCINS A BORDEAUX
Le ventre de Bordeaux
Au Moyen-Âge, « Lou Gran Mercat » (autrement dit, Le grand marché) se tenait sur l'actuelle place Fernand Lafargue, avant que l'intendant Tourny ne le déplace vers le cours Victor Hugo. Aux « Capus », vers l'époque de la Révolution, on trouve essentiellement le marché hebdomadaire aux bestiaux avant que, peu à peu, il ne soit rejoint par d'autres.
Avec l'arrivée des maraîchers des environs et la vente à la criée, le marché des Capucins devient le marché de gros de Bordeaux et se voit doté en 1878 des deux beaux pavillons Baltard que l'on voit sur la photo, récupérés de l'exposition universelle parisienne. Les coches puis les trams continueront à passer entre les deux, sous la verrière.
Aujourd'hui, les Capus toujours d'actu
Pour les puristes, la fin des « Capus », c'est lorsque les grossistes ont commencé à les déserter à la fin des années 80. Pour d'autres, c'est quand leur gestion a été privatisée en 1999, en faisant une entreprise comme une autre.
Pour beaucoup, c'est avec le départ des carrioles qui s'installaient rue Elie Gintrac et en faisaient le marché le moins cher de la région. Mais pour tous ceux qui n'ont pas connu cette évolution, les « Capus », même plus lisses et moins canailles, restent une référence et un moment de convivialité.
LE MARCHE VICTOR-HUGO
Le Grand Marché de Bordeaux
C'est ici, au pied des anciennes fortifications, que l'intendant Tourny décide d'implanter le grand marché de Bordeaux au 18ᵉ siècle. Vite dépassé par le marché des Capucins, Victor Hugo tient bien la route et se voit doter d'un pavillon métallique de type Baltard en 1884 par Charles Burguet, architecte municipal qui connaît bien le coin puisque c'est lui qui agrandit le lycée Montaigne. Son but : intégrer cette architecture moderne de verre et de fonte au style bordelais. Et il réussit plutôt bien. Mais cela n’empêcha pas les halles d'être rasées en 1959.
Aujourd'hui, le marché n'a pas fait le poids
C'est un fourre-tout que le bâtiment achevé en 1966 : un Palais des Sports, un parking et un reste de marché sur l'avant. Il se tient plutôt bien au début, ne serait-ce que parce qu'on y trouve des choses qu'on ne trouve pas forcément ailleurs (les oreilles de cochon, vous avez essayé ?).
Mais il est peu visible et petit à petit, le marché disparaît. Comme le sport d'ailleurs, remplacé depuis 1979 par les concerts. Mais à la fin, ce sont les sportifs qui gagnent et reprennent possession de l'ensemble des lieux en 2016. Le marché quant à lui avait fermé une dizaine d'années déjà auparavant.
MARCHE ROYAL A BORDEAUX
Royal, mais baladeur
Encore un coup de l'intendant Tourny qui aime bien jouer aux chaises musicales ! Il crée une succursale du marché principal de Bordeaux sur la Place du Parlement. C'est classe et on l'appelle ainsi « Marché royal ».
Il gardera cette appellation malgré la Révolution, mais ira s'encanailler aux Salinières. On y trouve notamment un marché quotidien aux vimes (l'osier dont on fait la vannerie) et, un peu plus loin, un marché hebdomadaire à la volaille. Bref, on trouve de tout au Marché Royal.
Saint-Mich' reste Royal
C'est toujours plus ou moins son nom officiel : transféré à Saint-Michel, le marché porte toujours l'adjectif de « Royal » et c'est mérité : il demeure toujours le roi des marchés de plein air. D'autant qu'il a hérité aussi des restes du marché des brocanteurs de Mériadeck.
Et c'est symbolique que pendant les travaux de la place, il ait retrouvé le quai des Salinières pendant quatre ans, à l'ombre tutélaire de la Fontaine de Grave qui n'est pas un reste de pilier romain, mais une colonne creuse qui abritait l'ancien système de fontaine. Elle date de 1787, à l'époque où le lieu accueillit le premier marché royal.
HALLES DES CHARTRONS
Fabrication en série
La fin du 19ème siècle, c'est l'explosion démographique des villes. De moins en moins de gens ont la place de faire un jardin et il faut donc créer des marchés pour alimenter la population.
À Bordeaux, c'est Charles Burguet qui s'y colle et construira celui des Grands Hommes (1860) de Lherme (1867) puis, celui des Chartrons (1869). Tous sur le même modèle d'une belle rotonde en architecture métallique. On y ajoutera également (même si ça fait « moche ») des rideaux pour préserver la nourriture de la chaleur du soleil. Et oui, même à l'époque, les architectes ne pensaient pas à tout.
Des destins croisés
Grosso modo, les halles de Burguet tiendront un bon siècle avant d'être bétonnées dans les années 60... juste parce qu'on adorait ça à l'époque. C'était encore plus moche, alors petit à petit, on a rénové ces belles rotondes, mais seuls les Grands Hommes ont gardé une vocation commerciale (en abandonnant le beau style 19ème).
Lherme est devenu une salle réservée aux associations bordelaises, et les Chartrons ont pris une vocation culturelle. Ce sont ceux qui ont le mieux gardé leur style d'origine.